Révélations sur la controversée Benetton B194 de Schumacher
par Nicolas Anderbegani
Alors, contrôle de traction ou pas ?

Révélations sur la controversée Benetton B194 de Schumacher

Parmi les nombreuses polémiques qui émaillèrent le tragique saison 1994, le supposé contrôle de traction illégal dont aurait disposé la Benetton de Schumacher a fait couler beaucoup d'encre. Trente ans après, un ancien ingénieur lève le voile sur cette affaire. Replongeons-nous dans le contexte de l'époque.

Zapping Le Blogauto Au volant avec Chat GPT

1994 : mort aux puces !

Sous l'impulsion de Max Mosley et de la FIA, la règlementation technique prend un tournant radical pour 1994, en prohibant les assistances et systèmes électroniques sophistiqués qui avaient permis aux F1 du début des années 1990 de faire un énorme bond en performance. L'interdiction était motivée par la volonté de réduire les coûts, de redonner la primauté au pilote dans la performance et de freiner des systèmes jugés dangereux en cas de défaillances, ravivant le spectre des accidents en série qui avaient marqué l’époque des « wings cars » à effet de sol.

La raison était aussi, officieusement, de rebattre les cartes et de casser la domination de Williams, dont l'inimitié avec Mosley était notoire. Williams maîtrisait à la perfection cette révolution électronique et avait écrasé les saisons 1992 avec Mansell et 1993 avec Alain Prost. Ce n’est pas un hasard si ce dernier avait qualifié sa Williams FW15C de véritable "Airbus roulant", disposant de la suspension active, de l’ABS, de la télémétrie bidirectionnelle mais aussi d’un système d’antipatinage, qui contrôlait la traction via un programme électronique agissant sur l'embrayage, la boîte et la vitesse du moteur selon un schéma prémédité.  Triste ironie du sort, Senna, qui n'avait jamais caché son aversion pour les aides électroniques, déclara que la saison 1994 risquait de connaître de nombreux accidents, étant donné que l'interdiction des aides électroniques n'était pas allée de pair avec une réduction des performances des monoplaces.

Williams en difficulté, Benetton sème le doute

Justement, les essais hivernaux ont suscité bien des interrogations et des doutes pour Ayrton Senna, qui n’a pas un bon feeling ave sa voiture. La nouvelle Williams-Renault FW16 se révèle très délicate à conduire, imprévisible et difficile à mettre au point, car elle a été développée sur la base de ses devancières, qui avaient été construites autour de la suspension active et des systèmes électroniques. Privée de ces artifices, la FW16 se montre caractérielle et très sensible aux changements de hauteur de caisse. Senna n'affiche pas la confiance habituelle à l'aube de la saison et le paye en course. Après un abandon au Brésil sur un tête à queue, il connaît de nouveaux déboires dès le départ du grand prix du Pacifique en étant percuté par Nicola Larini. Contraint à l'abandon, Senna ne rentre pourtant pas aux stands, mais s'attarde en bord de piste afin d'observer attentivement la Benetton de son rival Schumacher. A l’issue de cette longue séance d’observation impromptue, le brésilien n'a plus de doute : la Benetton "ratatouille" en sortie de virage quand elle réaccélère, et utilise à coup sûr un système d’anti-patinage, ce qui la rendrait illégale.

A Imola, dans un climat de soupçon alimenté par le buzz médiatique, la FIA avait exigé aux équipes de leur fournir la boîte noire des logiciels de gestion électronique des moteurs pour analyser les lignes de code, et Benetton, en ne s'acquittant que très tardivement de cette injonction, avait alimenté les doutes. L'analyse du logiciel de Benetton, faite par une société experte indépendante, avait mis en évidence la présence dans les lignes de code d’un programme sobrement intitulé "launch control", trahissant un système de départ automatisé. Ross Brawn, le directeur technique de l'écurie, avait affirmé que ce programme n'avait été utilisé qu'en essais privés et qu'il ne pouvait être activé qu’en effectuant une reconfiguration du code-source, ce que des experts avaient infirmé lors d’une démonstration, où l'aide avait été activée très facilement !

Une polémique en avait chassé une autre

Tout laissait penser à une forme de dissimulation compromettante, mais néanmoins aucune preuve formelle de tricherie n'avait pû être apportée, et la FIA avait fini par tourner la page. Au grand prix de France, le départ canon de l'Allemand, qui avait déposé les deux Williams, avait relancé les spéculations sur un potentiel contrôle de traction illégal, mais par la suite, les autres polémiques s'étaient enchaînées, sur le système de ravitaillement truqué, lors de l’incendie des stands de Jos Verstappen, à propos du drapeau noir de Schumacher à Silverstone et de sa suspension pour deux courses, avant l'apothéose d'Adelaïde et l’accrochage tendancieux entre Schumacher et Hill. Toutes ces histoires avaient fini par reléguer au second rang l'affaire du "contrôle de traction".

La supposée illégalité de la Benetton B194 a cependant continué de coller aux basques de l'équipe, tel le sparadrap du capitaine Haddock, et la question est régulièrement revenue dans le débat depuis 30 ans, au gré de telle ou telle déclaration, comme celle de Jos Verstappen qui, en 2011, avait déclaré à la presse être convaincu que la monoplace de Schumacher était « spéciale » et bénéficiait de subterfuges électroniques.

Le subterfuge enfin expliqué !

Trente ans après les faits, et alors que l’on s’apprête à commémorer le drame d’Imola, de nouvelles révélations ont fait surface sur cette affaire par le biais de l’ingénieur aérodynamicien Willem Toet, qui travaillait chez Benetton en 1994. Dans un long message technique posté fin décembre, Toet a jeté un pavé dans la mare : oui, la Benetton avait un contrôle de traction…mais pas illégal ! Les ingénieurs avaient visiblement trouvé un stratagème qui permettait de contourner le règlement, sans pour autant le violer, ce qui est une constante dans le jeu du chat et de la souris que se livrent législateurs et ingénieurs depuis toujours en F1.  Alors, qu’en est-il ?

Toet d'abord ne contredit pas Senna : « Il a remarqué que la Benetton semblait bégayer à la sortie des virages les plus lents, ce qui, selon lui, devait être dû à un contrôle de traction. C'était le cas, mais la manière dont Benetton y est parvenu était tout à fait légale. »

Comment ? Des capteurs mesuraient à la fois la pression de l'air dans la boîte à air de la voiture et le régime moteur (tr/min) et ces informations, combinées avec des mesures de pression atmosphérique connues, permettaient de contrôler l'accélération de la voiture.

"Les moteurs étaient autorisés à détecter la pression atmosphérique et vous disposiez donc du nécessaire pour modifier le taux d'accélération limite du moteur dans n'importe quel rapport", a détaillé Toet.

« Nous n'avions pas droit à l'utilisation d'aucun type de capteur qui indiquerait à l'unité de commande du moteur (ECU) dans quel rapport se trouvait la voiture., mais on pouvait utiliser la façon dont la pression changeait avec la vitesse dans la boîte à air pour le déterminer. Pour affiner ce processus, il suffisait de connaître le régime (un autre paramètre purement moteur). Hé, hop, contrôle de traction.

Concrètement, le système consistait en un « coupe-étincelles » agissant sur l’injection, ce qui néanmoins pouvait poser des soucis de fiabilité.

« Les signaux d'entrée étaient le régime du moteur mesuré très fréquemment afin que l'accélération du moteur puisse être mesurée (capteurs à effet Hall je crois) et la pression atmosphérique (capteur très précis) afin que la pression delta puisse être évaluée. » Le système était modifié si les rapports de démultiplication changeaient (un rapport de démultiplication différent nécessiterait une limite d'accélération du moteur différente). Un certain nombre d’étapes d’accélération du moteur était programmé et à mesure que les conditions changeaient (notamment celles de la piste), les paramètres étaient ajustés.

Le système n’était cependant pas parfait « Si les pneus devenaient mouillés, le système ne contrôlait pas la traction. Si la piste s'améliorait de plus en plus, le système risquait de trop réduire la puissance –alors que l'adhérence disponible permettrait une plus grande "accélération" du moteur ».

Même si Senna n’avait pas tort dans ses soupçons, Schumacher et Benetton se sont efforcés de dissimuler le système. Cela impliquait de limiter son utilisation ou de s’en servir de manière moins évidente. « Conduire partout à fond serait bien, sauf que cela gaspillait du carburant et produisait un son plus détectable. Même si l'équipe était convaincue que le système était légal, elle souhaitait minimiser la visibilité car elle savait que cela entraînerait des « clarifications » ou des changements de réglementation. Ils ne voulaient pas non plus que les autres équipes travaillent sur ce qu'elles faisaient ! Bien sûr, d’autres équipes ont fini par y parvenir »

Ainsi, Benetton a couru en 1994 avec une forme de contrôle de traction, par une astuce permettant de contourner ce qui avait été interdit à la fin de la saison précédente. Willem Toet est partie prenante évidemment dans cette affaire. Pourquoi le dire d'un coup trente ans après ? Quand on connaît les manigances du patron de Benetton, Flavio Briatore, surtout avec le fameux "crashgate", peut-on vaiment se sentir rassuré ? Que pensez-vous de cette clarification ?

 

Vous cherchez un véhicule d'occasion ?

Retrouvez des milliers d’annonces sélectionnées pour vous aider à trouver le bon véhicule d’occasion.
Podcast Men's Up Life
 

Pour résumer

Nombreux, Senna en premier, étaient convaincus de l'illégalité de la Benetton B194 de Michael Schumacher, qui disposait selon eux d'un système de contrôle de traction pourtant interdit. Depuis, on a beaucoup parlé de cette histoire. L'ancien ingénieur Willem Toet confirme la présence d'un contrôle de l'accélération, mais par le biais d'un système malin qui contournait l'interdiction sans pour autant l'enfreindre. Alors, le débat est-il clos ou seulement ravivé ?

La quotidienne

Retrouvez tous les soirs une sélection d'articles dans votre boite mail.