Il y a quelques années, Giorgetto Giugiaro déclarait: « Ce que les Japonais ont fait en 40 ans et les Coréens, en 20 ans, les Chinois le feront en 10 ans. » Où a-t-il placé le point de départ de ces « 10 ans »? A la date de la première voiture chinoise produite par un constructeur privé (la Geely Haoqing de 1998) ? A la date du premier lot de voitures particulières exportées (des Chery Amulet destinées à la Syrie, en 2002) ? Ou bien à la date de la première apparition d’un constructeur chinois dans un salon occidental (Geely et Landwind au salon de Francfort 2005) ? Dans le meilleur des cas, les « 10 ans » sont presque écoulés. Pourtant, les rues des villes occidentales ne sont pas couvertes de voitures chinoises…L’aphorisme de Giugiaro avait plusieurs buts. Il y a d’abord la volonté de provoquer, donc de faire parler de soi… Tout en déclarant quelque chose qui correspondait aux analyses de l’époque. Accessoirement, au début des années 00, Ital Design doit se tourner vers la Chine, faute de contrats avec des constructeurs européens. D’où une volonté de « vendre » ses clients, pour mieux glorifier ses créations.
Le Blog Auto peut se vanter d’avoir été l’un des premiers à évoquer les voitures chinoises. Personnellement, j’y suis entré en septembre 2006. Quelques semaines avant le premier Mondial de l’automobile où les constructeurs chinois sont présents. J’étais donc aux premières loges pour voir les Landwind, Great Wall et autres Tang Hua (relisez les commentaires de l’époque !) Et j’étais aussi parmi les premiers sceptiques. Fin 2006, on s’attendait à voir des voitures chinoises dans les concessions françaises sous quelques mois. Néanmoins quand bien même les voitures passeraient le filtre de l’homologation, qui allait les acheter? Qui voudrait d’un Isuzu Trooper dégriffé, sous-équipé et motorisé par un bloc essence japonais des années 80? Qui serait volontaire pour s’offrir un clone maladroit d’une Smart Fortwo? Plus généralement, qui veut sérieusement mettre 20 000€ dans un produit d’une marque dont il n’a jamais entendu parler et qui distribue des prospectus rédigés via Google traduction ?
En fait, les analystes n’avaient fait que prolonger les courbes: si le constructeur x a multiplié par 10 ses ventes entre 2000 et 2005, il va aussi les multiplier par 10 entre 2005 et 2010, non? Il faut aussi croire que certains aiment se faire peur. D’autres ont projeté sur les Chinois leurs rêves de voitures électriques ou de grandes berlines à prix cassés.
En face, les représentants du Pays du Milieu se montrent conquérants, voir prétentieux. Ils s’épient mutuellement: « Comment ? Untel annonce 10 nouveautés et 1 million de voitures d’ici 2 ans? Alors je vais annoncer 15 nouveautés et 2 millions de voitures ! » Les fondateurs sont des hommes d’affaires qui ont bénéficié de l’explosion économique des années 90. Li Chu Fu (Geely) était arboriculteur, Yin Mingshan (Lifan) était imprimeur, Wang Chuan Fu (Byd) était ingénieur en chimie, etc. Pour trouver des cadres dirigeants, ils ont fait la sortie des écoles de commerce. Hu Qi (Lifan), Qi Yumin (Brilliance) ou Xia Zhibing (Byd) étaient autant de jeunes yes men. Ils étaient à l’image des entreprises qu’ils dirigeaient : prétentieux, inexpérimentés et prompts à parler avant de réfléchir. Un peu trop verts, ils explosèrent en vol aux premières turbulences. Seule Wang Feng Ying (une femme !), chez Great Wall, a réussi à s’accrocher. Tout ces constructeurs durent tout apprendre sur le tas: le design, la production, le marketing, le réseau, l’exportation… Même en employant des consultants européens ou en « s’inspirant », la tâche était ardue. D’autant que le marché intérieur a évolué au pas de course. La classe moyenne s’est montrée de plus en plus exigeante. Le marché des grandes villes a été vite saturé; il a fallu se lancer à l’assaut des campagnes (donc développer un réseau pour quadriller le pays.) Le tout, avec une demande qui connait des hoquets. Certains constructeurs, mal armés ou peu inspirés, s’effondrent.
Et aujourd’hui, où en est-on avec les Chinois? Certes, SAIC est présent en Grande-Bretagne (via MG.) Great Wall possède des importateurs en Grande-Bretagne, en Italie et une chaîne d’assemblage en Bulgarie. Byd réalise des essais de véhicules électriques en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Hollande et au Danemark. Ces dernières années ont surtout été marquées par des naufrages: Asie Auto en France, China Car Deutschland et HSO en Allemagne, Martin Motors en Europe Centrale… L’assembleur italien DR Motor, partenaire de Chery, ne donne plus signe de vie. En bref, on est très loin de l’invasion promise.
Mais les Chinois ne sont pas restés inactifs. Une deuxième génération de modèles arrive. Ils sont plus modernes, plus performants, plus sûrs, mieux équipés, moins polluants… Et guère plus chers. Le marché s’est consolidé. En 2013, 3 constructeurs (Chery, Great Wall et Byd) seront au-dessus des 500 000 ventes en Chine. Les dirigeants ont vieilli; ils font moins d’annonces et davantage d’actions concrètes. A l’export, il y a également des évolutions. En 2013, ils seront 4 (Chery, Great Wall, Geely et Lifan) à vendre plus de 100 000 voitures hors de Chine. Ce qui reste une goutte d’eau à l’échelle internationale. Au moins, ils développent de vrais services « export » et écoutent davantage leurs clients étrangers. Dans l’immédiat, ils veulent s’établir en Amérique du Sud, dans l’ex-URSS et en Australie. A moyen-terme (2015), certains visent les pays Baltes, l’Europe orientale et le Benelux. Pour le reste de l’Europe occidentale et les Etats-Unis, il faudra patienter jusqu’à la fin de la décennie. Rendez-vous donc dans 10 ans…
Crédits photos: constructeurs
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17 Commentaires sur "Souvenirs, souvenirs : les Chinois, 10 ans après"
Ils ont et vont bouleverser le marché.
Dans 10 ans nous roulerons en majorité dans des voitures fabriqué en Chine.
Ils ont déjà la fabrication des pièces ( Allemande comprise ) ils auront le reste très vite.
Ils vont pousser les autres constructeurs à l’agonie puis les racheter ( cf. Volkswagen ).
As tu lu l’article vraiment ?
Dans 10 ans les européens ne rouleront pas en voiture chinoise car ils arrêtent tout simplement d’acheter des voitures. On vient commenter ces articles alors que personne d’entre nous ne compte acheter une caisse dans les 10 ans a venir. On préfère mettre 7000euros dans une cuisine de notre joli 27m2 qu’on a paye 300.000 et qu on payera pendant 35ans….
Il faut refaire les emplacements des photographies des anciens articles, c’est difficile à lire. Mais c’est avec nostalgie qu’on les revoit…
le Bénélux ne fait os partis de l’Europe occidental?
Je viens de corriger.
Du reste, le principal à retenir, c’est qu’actuellement, aucun importateur dit: « On va représenter telle marque dans tel pays. » L’arrivée de Qoros à Genève n’était accompagné d’aucune annonce.
On n’est plus en 2006-2008, lorsque des indépendants disaient « banco! » Les 9 MG vendues en Grande-Bretagne en février et les 6 Great Wall vendus en Italie semblent refroidir certaines ardeurs…
Ne pas sousestimer les chinois.
Aujourd’hui déja, une voiture sur quatre est produite en chine (20/80 millions). Les chiois n’exportent pas car ils n’ont pas besoin: ils n’arrivent déja pas a fournir leur gigantesque marché domestique. Cela va nous laisser tranquille encore quelques années.
Mais le jour où ils auront besoin de chercher des clients ailleurs…. Là nous aurons des sérieux problemes car avec des volumes colossaux et une main d’oeuvre très bon marché, leurs competitivité sera tres dure a concurrencer….
une taxe à l’importation (comme celle déjà pratiquée en Chine) pourrait être une partie de la solution contre ce type de concurrence. et puis ça donnerait un levier supplémentaire à l’Europe sur le plan géopolitique.
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/12/31/la-chine-va-reintroduire-des-taxes-sur-certaines-importations_1811642_3216.html
Sinon, si on veut éviter une guerre commerciale frontale, on peut modifier les normes (par exemple de sécurité ou antipollution) de manière à exclure de facto les modèles low cost chinois ou à décourager simplement les constructeurs effrayés par les couts de R&D exorbitants. ça marche plutôt bien aux USA.
Sauf que les constructeurs Chinois « purs » ne représentent qu’un quart de la production chinoise. Les leaders, ce sont VW, GM et Hyundai. On l’a dit, Chery, Byd et Great Wall sont au-delà des 500 000 voitures. Leur capacité de production ne dépasse pas le million d’unités. Donc, pour l’instant, ils sont incapables d’envahir le monde, même à moyen-terme.