24 Heures du Mans : cinq petites histoires en coulisses

Combat et fatigue

Le dimanche soir est toujours difficile aux 24 heures du Mans. La pression retombe, la fatigue revient, la mélancolie s’installe. Cette fois, les pilotes semblaient particulièrement éprouvés après les cérémonies protocolaires.

James Calado, qui a mené sa Ferrari n°51 jusqu’à la 3e marche du podium, témoigne : « Je n’ai pas beaucoup dormi et j’ai eu la sensation de devoir pousser bien plus que la normale. On devait mettre bien plus d’énergie dans chaque relais pour extraire tout ce qui était possible ».

Laurens Vanthoor, deuxième à bord de la Porsche n°6, confirme : « On savait que la météo serait moins importante que l’an dernier. C’était comme un sprint. Tout le monde a beaucoup attaqué et il y a eu beaucoup de pénalités et d’erreurs ».

1 035 km de plus

L’édition 2025 était effectivement hors-norme. Jusqu’à l’intervention de la voiture de sécurité, peu après 3 heures du matin, les leaders étaient en mesure d’établir un nouveau record absolu de distance (5 410 km en 2010). Le damier a été présenté après 387 tours, soit 5 273 km. C’est plus de mille kilomètres de plus que l’an dernier, où la pluie et les nombreuses neutralisations avaient permis aux équipages et aux mécaniques de souffler…

De surcroît, avec 21 Hypercars présentes, un niveau de fiabilité élevé et des pilotes de talent, chaque seconde devient cruciale. Les bagarres sont désormais permanentes dans le peloton. Dans cet environnement, certains s’inquiètent, d’autres s’épanouissent. Pilote de la Porsche n°4, Nick Tandy nous confiait qu’il se sentait bien dans ce nouveau paysage :

« Je suis un compétiteur. Plus la course est serrée, mieux c’est. Et plus je me sens à mon avantage. Ce n’est pas du rallye, du contre-la-montre ou… (il se retourne pour s’assurer qu’aucun représentant de la marque n’écoute) de la Formule E où vous devez attendre les deux derniers tours pour attaquer. J’adore faire partie du combat ».

L’attaque des pucerons ailés

Un curieux phénomène s’est manifesté ce week-end dans l’ouest de la France. Les voitures des spectateurs, mais aussi les Hypercars, se retrouvent couvertes de milliers de points en quelques minutes. Quadruple vainqueur des 24 Heures du Mans, Sébastien Buemi est lui-même surpris :

« Je n’ai jamais vu ça. Tu sors des stands, tu arrives dans les Hunaudières et tu ne vois déjà plus à travers ton pare-brise. Cela diminue même la visibilité des phares. Ça monte en flèche en fin d’après-midi, ça atteint un pic vers 20h30, 21 heures. Et à 22 heures, d’un coup, c’est terminé. L’essuie-glace ne fonctionne pas si bien que cela, il faut attendre le retour aux stands pour nettoyer. Tu te tapes 12 tours comme ça… Mais c’est la même chose pour tout le monde ».

Le Maine Libre de jeudi nous apprenait que les animaux en question sont des pucerons ailés décrits comme « gentils et inoffensifs ». Ils pullulent cette année en raison de la chaleur, des hauts pins bordant le tracé et du manque de coccinelles.

Déception chez Peugeot

Le Lion fait grise mine. Les deux 9X8 n’ont pas existé, roulant à 3 secondes au tour des meilleurs. Les voitures ont été larguées depuis le début de la semaine, alors qu’elles luttaient dans le peloton de tête lors des 6 Heures de Spa-Francorchamps, il y a un mois.

Les concurrents ont l’interdiction d’évoquer la Balance de Performance, chargée d’équilibrer les Hypercars. Pilote de la n°93, Paul di Resta y pensait vraisemblablement vendredi soir en parlant aux journalistes dans l’hospitalité de l’équipe…

Paul di Resta : « Je pense que nous sommes réalistes sur nos objectifs. Nous ne sommes pas dans la bataille. Nous sommes en fin de peloton pour différentes raisons. Nous allons faire ce que nous pouvons, optimiser et essayer de ne commettre aucune erreur. On travaille tous comme des malades, les mécanos ont gagné le pit-stop challenge pour la deuxième fois en trois ans. Quand vous regardez le niveau de tout le monde, le soin du détail, le niveau où ils opèrent. Je suis très fier d’eux. »

Un confrère : « Que vous faudrait-il pour vous rapprocher du peloton ? »

Di Resta : « C’est une question que vous devez poser plus haut dans la chaîne alimentaire ».

Essayons.

Jean-Marc Finot, vice-président de Stellantis Motorsports, utilise les mêmes circonlocutions. Il évoque l’avenir du programme : « Notre volonté, c’est de continuer. C’est la volonté de tout le monde, puisque la présence de Peugeot est forcément aussi un atout pour le championnat. Nous devons trouver le chemin pour que ce soit juste pour tout le monde. Mais il y a vraiment une très forte volonté d’engagement du groupe Stellantis ».

Un équipage exemplaire

Dans ce marasme, un signal positif. La n°94 a effectué une course habile et sans erreur. Grâce à l’usage intelligent du lift and coast, Loïc Duval, Stoffel Vandoorne et Malthe Jakobsen étaient en mesure de boucler un tour de plus par relais que les concurrents. Ceci autorisa la 9X8 à occuper brièvement la tête des 24 Heures à deux reprises, samedi après-midi. Seule une rixe avec la n°35 retarda d’une vingtaine de secondes le trio (l’Alpine fut pénalisée).

Pour ses premières 24 Heures du Mans en 9X8, le jeune Malthe Jakobsen (21 ans) s’est distingué par son calme et sa vitesse. Il a notamment brillé aux petites heures : « Je suis monté dans la voiture au lever du soleil. Il faisait beaucoup plus froid. La voiture donnait l’impression d’avoir repris beaucoup d’appui dans les virages Porsche. C’était aussi plus facile de maintenir les pneus dans leur fenêtre d’utilisation ». Ce jeune homme – qui parle presqu’aussi vite qu’il pilote – est très prometteur.

Après une course sans faute, l’équipage Duval, Jakobsen, Vandoorne fut classé 11e, arrachant ses premiers points au championnat. C’est mérité.  

Facteur pneumatique aux 24 heures du Mans

Sèche et enlevée, cette édition fut aussi marquée par l’importance de la stratégie pneumatique. Michelin, fournisseur exclusif des Hypercars, proposait 3 mélanges : soft (tendre), medium et hard (dur) pour une allocation totale de 56 pneus pour la course. « La plupart des équipes ont choisi d’effectuer des triples relais en medium », nous expliquait Pierre Alves, le patron des activités endurance de Michelin.

Toutefois, la question principale était de savoir à quel moment passer en soft, plus adaptés à la fraîcheur de la nuit. « Pas pour des raisons de performances intrinsèques, nous confiait Frédéric Makowiecki, pilote de l’Alpine n°36, avant l’épreuve. Le soft ne va pas plus vite que le medium, c’est même l’inverse. Par contre, il a une fenêtre d’utilisation plus large ».

L’ex-porschiste détaille : « Cela peut permettre de se poser moins de questions en cas de neutralisation par une voiture de sécurité ou des slow zones (les pneus refroidissent). Le but est de ne pas se retrouver en difficulté en sortant de la fenêtre de température du pneu. Or, si cela arrive, on doit par exemple éviter le lift and coast (fait de lâcher l’accélérateur plus tôt pour économiser du carburant), qui nous ferait encore plus sortir de la fenêtre… ».

L’Alpine n°35 tenta dès samedi en fin d’après-midi de monter un train de soft. L’équipage Habsbourg – Milesi – Chatin fit finalement machine arrière dans la soirée. Chez Ferrari, la numéro 50 monta un mélange tendre au cœur des ténèbres. « Les résultats étaient très proches pendant la nuit. Mais nos pilotes se sentaient mieux en medium », analysa pour nous Ferdinando Canizzo, le patron technique chez Ferrari AF Corse.

A lire : « La Ferrari n°50 éliminée pour 4 boulons »

Kubica (et son Coca)

Encore un combattant. Vainqueur des 24 Heures au volant de la Ferrari n°83 en compagnie de Yifei Ye et Phil Hanson, Robert Kubica est sans doute le grand héros de cette édition. Il a passé plus de 10 heures et 10 minutes au volant et composé le dimanche avec une boîte de vitesses récalcitrante au moment de descendre les rapports. Tranchant, rapide, retors dans le peloton, il est l’un des tous meilleurs pilotes d’endurance d’aujourd’hui.

Deux heures après l’arrivée, il a encore sa couronne de lauriers autour du cou et répond avec courtoisie aux journalistes. Le soleil décline, un petit temps mort. Un confrère transalpin l’interroge sur la triple couronne (F1, Indianapolis, Le Mans) et une possible participation à Indy. Le Polonais – qui a vécu son adolescence en Italie – répond dans une langue de Dante très soignée.

Kubica : « Sincèrement. Si je devais choisir quelque chose d’autre, ce serait le championnat du monde de rallye. J’aimerais gagner une manche du mondial. J’ai gagné en deuxième catégorie, mais pas au plus haut niveau. Réessayer, ce serait un truc de fou. Et avec l’âge, je suis devenu plus raisonnable et moins dingue. Et pour Indy il faut une part de folie ».

Il aime Le Mans : « Pour cette course, on a tant donné et pas seulement aujourd’hui. Elle m’a fait revivre des émotions comme quand j’étais gamin et que je faisais du kart. Quand tu arrives au Mans, tu ne sais jamais à quoi t’attendre. C’est plus qu’une course, c’est une aventure. Cela m’a fait revivre ce que je ressentais quand j’arrivais de Pologne pour faire des épreuves de kart en Italie. Je l’avais ressenti en 2021 (en tête du LMP2, sa voiture l’avait trahi dans le dernier tour), je l’ai ressenti là. C’est une grande victoire, aussi au plan émotionnel ».

Une revanche

Rappelons ici que le pilote fut gravement blessé lors d’un rallye, en 2011, alors qu’il était appelé à de hautes destinées en Formule 1. Il subit 18 opérations. Son bras, partiellement sectionné, n’a jamais retrouvé toutes ses capacités. « C’est la plus grande victoire de ta carrière ? », demande-t-on à Robert Kubica, à propos des 24 Heures du Mans.

« Non, la chose la plus grande, elle n’a rien à voir avec la course. Si je dois être sincère, c’est la victoire que j’ai obtenue dans ma tête, quand mon cerveau n’acceptait pas mes limites. Pendant ma rééducation. Il m’a fallu des mois de travail pour accepter, pour recommencer, pour redonner de la paix à mon cœur, pour vivre. Pas comme si rien ne s’était passé. Mais avec des objectifs devant moi. D’accepter mes faiblesses ».

Il poursuit : « Je suis un type qui n’a pas profité quand il a gagné son Grand Prix de Formule 1. Demain, je serai peut-être plus reposé, je pense que là, tout de suite, il y a la fatigue. J’ai dormi 2 heures sur les dernières 38. Une fois que tout cela sera fini, je vais boire un Coca ou un Red Bull pour avoir un peu de sucre et mon cerveau s’allumera de nouveau… et peut-être que j’en profiterai plus ».

À ta santé, Robert.

Un commentaire

  1. Très bon article, un excellent complément à une édition très intense aussi du point de vue spectateur, cette immersion dans les coulisses est la cerise sur le gâteau, bravo ! 👏

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