F1 : Crise chez Ferrari, sur fond de bras de fer entre Fred Vasseur et les médias italiens

Fred Vasseur

Des attentes déçues

La saison 2025 est, pour l’instant, une immense déception. La SF-25 est compliquée à exploiter, et seuls 3 podiums ont été glanés en 10 courses, loin, très loin derrière McLaren, Red Bull et même Mercedes qui reprend du poil de la bête. Après une saison 2024 qui s’était terminée sur les chapeaux de roues et la « hype » énorme suscitée par l’arrivée de Lewis Hamilton, le retour de bâton est évidemment très douloureux.

Comme il fallait s’y attendre, les tensions se sont accumulées et Ferrari est clairement dans une situation de crise. Outre le souci de performances, on décèle dans la communication des pilotes, en course ou en dehors, surtout celle d’Hamilton, que l’ambiance au sein de la Scuderia est compliquée. Hamilton a semblé très frustré à Montréal face au manque d’évolutions substantielles sur sa monoplace. L’anglais doit encore prendre ses marques et s’adapter à un environnement très différent de celui qu’il a connu chez Mercedes, et l’anglais semble déboussolé. 

De son côté, Charles Leclerc maximise comme il peut les résultats mais sa communication trahit une certaine frustration – les années passent – et il a connu un weekend compliqué avec un crash en essais libres puis une incompréhension tendue avec le stand sur la stratégie de pneus. 

Un team manager sur la sellette ?

Face à ce constat peu réjouissant, un homme est désormais dans l’œil du cyclone : Fred Vasseur. Arrivé en 2023, le français a restructuré la Scuderia et la dynamique était clairement positive en 2024, avec un titre mondial constructeurs disputé à McLaren, 5 victoires, des progrès dans l’exécution (arrêts aux stands, stratégie). Patatras, 2025 semble défaire tout ce qui a été patiemment mis en œuvre depuis deux ans. Dans ce contexte, alors que le contrat de Fred Vasseur arrive à son terme et que son renouvellement est sur la table, la presse italienne s’est agitée et la question de son remplacement a commencé à alimenter la machine à rumeurs. Il n’en fallait pas plus pour que le ton monte entre les journalistes transalpins et le team manager français.  

Selon des informations relayées quelques jours avant le grand prix du Canada par Le Corriere della Sera, Fred Vasseur aurait été convoqué par la haute direction pour s’expliquer sur les performances jugées décevantes de la Scuderia. Toujours selon le média italien, son autorité en interne serait remise en question. Cette défiance croissante affaiblirait peu à peu sa position à la tête de l’équipe. Le média a également mis en avant des « indiscrétions » concernant Charles Leclerc et son entourage qui s’interrogerait sur la pertinence de son engagement à long terme, pourtant prolongé jusqu’en 2029.

Les médias italiens pointés du doigt

Au Canada, Fred Vasseur a réagi fortement à ces spéculations en tançant ouvertement la presse italienne : Il a reproché à certains journalistes « stupides » d’agir non pas pour informer, mais pour créer la discorde autour de l’équipe.

« Je pense que certains cherchent simplement à faire du bruit, à créer du clic. Peut-être qu’ils veulent se faire un nom, ou nuire volontairement à Ferrari. Ou les deux à la fois. Quand on invente des histoires, qu’on évoque des transferts imaginaires, cela ne touche pas que moi. Cela impacte toute l’équipe. » Le manager français a même suggéré que l’influence néfaste des médias aurait une part de responsabilité dans les déboires de l’écurie : « On a changé de directeur d’équipe, on a changé de pilotes, on a presque tout modifié dans l’organisation. Pourtant, une chose ne change pas… »

« Si leur objectif est de mettre l’équipe dans cette situation, ils ont atteint leur but. Ce n’est pas comme ça qu’on va gagner un championnat. Et en tout cas pas avec ce genre de journalistes autour de nous (…) Tant que des journalistes chercheront à déstabiliser Ferrari, ce sera mission impossible. »

Dans cette machine infernale des rumeurs, les potentiels remplaçants de Fred Vasseur ont déjà fait l’objet de nombreux commentaires. Fin mai, on apprenait que Ferrari aurait sondé Christian Horner, l’actuel team manager de Red Bull. Le principal intéressé a formellement démenti, alors que les rumeurs sur son éviction de l’écurie autrichienne ont également égayé l’actualité ces derniers mois. Le simple fait d’imaginer que Ferrari sonde ses intentions était, aux yeux de certains, une forme de désaveu ou en tous cas un signe de manque de confiance en Vasseur.

Du WEC à la F1 ? La fausse bonne idée ?

D’aucuns ont remarqué l’absence de John Elkann au Canada. Logique, puisque le président du groupe Exor et de Ferrari était au Mans, pour assister au 3ème triomphe consécutif de Ferrari dans la Sarthe, depuis son retour en WEC. Elkann s’est enflammé pour les succès en Endurance et n’a pas eu un seul mot pour la Formule 1. Le succès phénoménal de Ferrari en WEC cette saison – 4 victoires en 4 courses – n’a pas tardé à servir de terreau à une nouvelle spéculation, avec un nouveau nom mis en exergue, notamment par la Gazzetta dello Sport et le Corriere della Sera : Antonello Coletta.

L’actuel directeur du programme WEC, qui surfe sur les victoires, serait désormais favori pour prendre la place du français. Toutefois, le WEC n’est pas la F1. Palmarès ou non, venir d’un autre univers automobile est tout de même risqué et casse-gueule. Davide Brivio, qui était arrivé chez Alpine en provenance du Moto GP, n’a jamais trouvé sa place…Sur les réseaux sociaux et sur certains médias italiens spécialisés, on s’inquiète d’un éventuel énième chamboule-tout, alors que la saison 2026 se prépare avec son bouleversement technique. Un changement d’ère en F1, le plus important depuis la révolution hybride de 2014, ne commande-t-il pas à plus de patience et de sérénité ? Certains y verraient même le meilleur moyen de perturber l’équipe F1 et de déstabiliser la structure WEC qui n’en a pas besoin…

Les médias veulent-ils sa peau, comme Prost en 1991 ?

Loin de calmer le jeu, la presse italienne a également fortement réagi aux propos de Vasseur. On a l’impression de revenir au temps d’Alain Prost, en 1990 et 1991, qui avait eu des relations orageuses avec ces mêmes médias. Aujourd’hui même, l’UIGA (Unione Italiana Giornalisti dell’Automotive) a publié un communiqué dans lequel, sans nommer Vasseur, elle exprime clairement ses (res)sentiments.

« Ces derniers jours, certaines déclarations provenant du monde du sport automobile ont apporté un éclairage important sur une situation qui nous préoccupe de près : le rôle et la responsabilité de l’information sportive, en particulier lorsqu’elle aborde des domaines délicats comme ceux de la dynamique interne d’une équipe ou d’une société ».

« Un célèbre directeur d’équipe d’une équipe italienne s’est dit préoccupé par la diffusion, par une partie de la presse, de nouvelles non confirmées concernant d’éventuels changements au sommet de la zone technique »

« Il a souligné en détail comment certaines rumeurs, concernant des personnalités éminentes issues des équipes concurrentes, peuvent créer de l’insécurité parmi les travailleurs et alimenter des tensions qui rendent encore plus difficile l’atteinte d’objectifs sportifs ambitieux. »

Le même directeur d’équipe a voulu distinguer entre le journalisme fait avec rigueur et professionnalisme, et ce qui, dit-il, cède à la tentation du sensationnalisme et du soi-disant « clickbait » ( ce que nous appelons très familièrement « putaclic » chez nous), contribuant plus à la confusion qu’à la clarté.

Informer, surinformer, besoin du scoop

Voyant dans les déclarations véhémentes de Frédéric Vasseur une atteinte à leur déontologie, le communiqué a répondu que ce n’est pas le travail de ses journalistes de rapporter de manière partisane envers Ferrari ou toute autre équipe basée en Italie.

« L’UIGA maintient la nécessité de réaffirmer un principe simple et fondamental : le journalisme sportif, comme toute forme d’information professionnelle, doit toujours s’inspirer de l’équité, de la vérification des faits et de la conscience du contexte dans lequel il opère.

Aucune pression, directe ou indirecte, ne peut ni ne doit restreindre la liberté de la presse (…) Le rôle des journalistes n’est pas de « soutenir » une équipe, mais de rapporter honnêtement ce qui se passe. Cependant, cela ne saurait justifier la diffusion d’informations non vérifiées qui risquent de compromettre des équilibres déjà complexes, avec des répercussions humaines et professionnelles concrètes »

La dernière partie du communiqué semble chercher le compromis, car la Scuderia s’était plainte de l’impact psychologique et des incidences sur le « climat » de travail suscitées par des informations qui avaient affecté des membres de l’équipe. « Ces rumeurs nuisent à mes ingénieurs, à leurs familles. C’est inacceptable » avait précisé Fred Vasseur.

« En ce sens, la controverse soulevée ces derniers jours, au-delà des tons, représente une occasion utile de réfléchir, en tant que catégorie, à l’équilibre entre le droit de l’information et le respect des personnes. Dans une saison médiatique où la vitesse et la spectacularisation sont susceptibles d’avoir la meilleure qualité, nous devons défendre la valeur d’une information sobre, précise et indépendante.»

Le temps, cette ressource qui semble manquer

Pour couronner le tout, même la classe politique s’en mêle. Dernière déclaration en date ? Le président du Sénat, Ignacio, La Russa, lequel estime que… Flavio Briatore aurait un impact positif sur l’équipe Ferrari. « Flavio serait une ressource précieuse qui pourrait révolutionner l’équipe. Il est capable non seulement de faire progresser les choses mais aussi qu’elles soient faites au final. »

Autre rumeur encore : Ferrari envisagerait d’ouvrir une antenne en Angleterre, afin d’attirer les meilleurs ingénieurs anglais qui visiblement rechignent à venir travailler en Italie. Le recrutement manqué de Newey, qui a finalement choisi Aston Matin, aurait-il laissé des traces ? Ferrari a déjà par le passé fonctionné de cette manière, entre la fin des années 80 et le début des années 90, quand John Barnard concevait les monoplaces depuis ses studios de design de Guilford. Mais le résultat n’avait pas été idéal, la synergie et la communication ayant été compliquées avec Maranello, ce qui avait contrarié le processus de conception. Jean Todt, dès sa prise de fonction, avait tout recentralisé à Maranello. Cependant, il avait réussi à attirer Ross Brawn et Rory Byrne…

Surtout, Jean Todt a eu du temps. Arrivé en 1993, il attend 1999 pour ses efforts se soient concrétisés, avec le titre constructeurs. Fin 1997, sa place avait été menacée suite au « Schumigate » de Jerez, mais Ferrari lui avait maintenu sa confiance, ayant compris que la stabilité est primordiale. Ferrari devrait regarder l’exemple d’Alpine pour réaliser que des changements incessants sont contreproductifs…

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