Freinages fantômes, quand les voitures prennent le pouvoir

C’était censé être le futur de la sécurité routière. Les systèmes avancés d’aide à la conduite (ADAS) devaient sauver des vies, éviter les collisions et compenser les erreurs humaines. Mais depuis quelques mois, un phénomène inquiétant secoue le monde automobile : les freinages fantômes, ces arrêts brutaux et imprévisibles déclenchés par les véhicules eux-mêmes, sans qu’aucun obstacle ne se trouve sur leur trajectoire.

Nous les avons nous-mêmes expérimentés lors d’essais, et ce ne sont pas les seuls phénomènes préoccupants de ces béquilles électroniques qui peuvent se révéler nocives.

L’affaire Joanna, point de départ d’une mobilisation

Tout commence au printemps 2025. Joanna Peyrache, conductrice d’une Peugeot 208, circule sur l’A40 quand son véhicule freine brusquement de lui-même à plus de 110 km/h. La voiture se retourne, Joanna s’en sort avec des blessures légères. Choquée, elle partage son expérience sur les réseaux sociaux et lance un appel à témoignages. Résultat : plus de 250 cas similaires recensés en quelques semaines, et près de 500 depuis.

Et toutes les marques sont concernées. En effet, des conducteurs de Peugeot, Citroën, Tesla, Skoda ou encore Volkswagen rapportent les mêmes scènes dignes d’un film d’horreur technologique : leur véhicule décide soudain de « sauver la mise » alors qu’il n’y a rien à éviter. Il y a quelques temps déjà, il y avait eu une vidéo d’une Tesla s’arrêtant d’elle-même dans un tunnel, sans raison, et provoquant un carambolage derrière elle.

Un accident mortel déjà recensé

Si certains épisodes se soldent par une grosse frayeur et des embouteillages improvisés, d’autres ont eu des conséquences dramatiques. En décembre 2023, un accident sur l’A7 a coûté la vie à une passagère. La voiture avait freiné d’urgence sans raison, provoquant un carambolage. La conductrice, condamnée pour homicide involontaire, n’a jamais cessé d’affirmer qu’elle n’avait aucun contrôle sur l’incident. L’affaire pourrait être réexaminée à la lumière de ces nouveaux témoignages.

Le souci principal, est que bien souvent, on ne trouve pas de traces de « bugs » dans les journaux d’activité (les « logs ») des ADAS. Une menace fantôme !

Le ministère s’en mêle

Face à l’ampleur du phénomène, le ministère des Transports a ouvert une enquête via le Service de Surveillance du Marché des Véhicules et Moteurs. Objectif : comprendre si les défaillances sont liées à des défauts matériels, à un mauvais entretien ou à une conception problématique des systèmes ADAS.

Les constructeurs, eux, se montrent prudents vis-à-vis des freinages fantômes. Aucun n’a officiellement reconnu un défaut généralisé. Mais en coulisses, certains ingénieurs concèdent que les systèmes de freinage d’urgence automatique (AEB) ne sont pas infaillibles.

Des explications techniques en suspens

Trois hypothèses principales reviennent dans les analyses :

  1. Capteurs perturbés : pluie, brouillard, soleil rasant ou simple reflet peuvent tromper les radars et caméras.
  2. Mauvais recalibrage : après le remplacement d’un pare-brise ou une intervention mécanique, certains capteurs ne sont pas correctement réajustés. Selon des experts, 80 % des défaillances proviendraient de ces interventions bâclées.
  3. Conflits logiciels : les systèmes de régulation de vitesse, maintien de voie et freinage automatique ne dialoguent pas toujours parfaitement entre eux. Une mauvaise interprétation peut suffire pour déclencher un freinage d’urgence injustifié.

Les capteurs d’angle mort peuvent déjà se déclencher avec la propre ombre du véhicule. On se demande alors pourquoi avoir généralisé tout ce fourbi.

Quand la sécurité vire au cauchemar

Le paradoxe est cruel : conçus pour réduire les risques, et désormais activés à chaque redémarrage du véhicule, ces dispositifs créent de nouvelles situations dangereuses. Un freinage fantôme sur autoroute peut transformer un trajet banal en accident grave. Le plus souvent, ce sera une percussion par l’arrière. En effet, même s’il a une distance de sécurité suffisante, le conducteur qui suit le véhicule aura un temps de « surprise ». Le freinage est totalement inattendu.

Comme le souligne un automobiliste victime du phénomène : « C’est la sensation la plus bizarre qui soit, de ne plus être totalement maître de son véhicule. »

Et maintenant ?

Le dossier est sur la table des autorités, et il promet de faire du bruit. Entre la confiance déjà fragile des conducteurs envers l’électronique embarquée et la nécessité de réguler des technologies de plus en plus complexes, les constructeurs marchent sur une ligne de crête.

Une chose est certaine : l’affaire des freinages fantômes rappelle que l’automobile connectée et semi-autonome n’est pas encore prête à se passer de la vigilance humaine. Elle rappelle aussi les affaires qui ont existé au début de la généralisation des régulateurs. A chaque fois, les constructeurs ont pu démontrer que le souci se trouvait entre le volant et le fauteuil. Mais, ici, des vidéos attestent de ces freinages intempestifs.

Notre avis, par leblogauto.com

Depuis le temps que nous faisons des essais à leblogauto.com, nous avons déjà eu l’occasion de voir des ADAS « à la limite ». Certaines lectures de panneau de vitesse qui lisent un panneau latéral pour une voie annexe ou une voie de sortie. Tant que le freinage n’est pas couplé à cette lecture, pas de souci. S’il l’est, c’est un freinage assuré !

On a également eu « Bob le pilote » qui est aveuglé par un soleil rasant (le matin ou le soit). Il décide alors de suivre non pas les lignes blanches, mais les pontages de fissures qu’il prend pour les lignes justement. Et vlan ! Dans le décors si on ne reste pas vigilant. Une autre fois, c’est une voiture avec AEB qui a considéré que la voiture qui ralentissait devant est un danger et pile. Pourtant la voiture allait tranquillement tourner et dégager la voie, bien avant que l’on soit sur elle. Mais, l’ordinateur ne le voit pas lui.

On rappellera aussi une vidéo célèbre d’une émission automobile télévisée qui montrait un prototype Valeo bardé de capteurs qui pilaient à Las Vegas pendant un CES, en plein milieu d’un carrefour sans personne autour. Aurait-elle eu peur de son ombre ? Evidemment, c’était un prototype, et sur une conduite encore plus autonomisée. Mais ce sont les prémices.

La première des sécurités (et le premier des dangers) dans une voiture reste et doit rester l’humain.

Sources : Le Point, BFMTV, La Dépêche, Huffington Post, Journal de l’Automobile, témoignages recueillis par les victimes.

(17 commentaires)

  1. « Elle rappelle aussi les affaires qui ont existé au début de la généralisation des régulateurs. A chaque fois, les constructeurs ont pu démontrer que le souci se trouvait entre le volant et le fauteuil. »

    Comme je le mettais dans un commentaire d’un sujet précédent, avant parution de ce sujet dédié, cette explication ne tiens pas la route (ha-ha!): Les régulateurs s’activent sur demande et avant de le faire, mieux valait avoir lu le manuel pour savoir ce qui les désactive (comme simplement appuyer sur le frein)…

    Ici ces ADAS sont toujours actives sauf à les désactiver explicitement et à chaque démarrage (encore merci l’Europe, qui a imposé la même chose qu’avec les Stop&Start affectant la durée de vie des batteries et alterno démarreurs, même renforcés, et à plus long terme du moteur/turbo…)!

    => Contrairement aux régulateurs ces ADAS sont en pratique toujours actives, ce qui signifie que si la voiture freine sans action du conducteur c’est forcément en raison de leur manque de fiabilité.

    C’est une différence majeure qui rends les 2 choses absolument incomparables. Je me rappelle d’un article sur le sujet ici même quelques temps avant l’obligation énonçant les ratés et le danger à imposer ces systèmes sur tous les véhicules neufs: Sans surprise, nous y sommes…

    Même sans dysfonctionnement, prendre un véhicule récent avec un truc qui vous contre quand on passe sur une ligne (avec possiblement de bonnes raisons type évitement) ou qu’il identifie mal sa nature (limite de voie d’insertion qui, s’insérant, vous mets un coup de volant à droite vers la BAU voir le décors, à contrer sans délai) sans même parler de prendre en référence des réparations de surface en soleil rasant… le tout avec un volant qui vibre et combiné à l’action à tourner dans le sens que le système juge bon, donne une sensation proche d’un dégonflage très rapide d’un pneumatique… je trouve pour ma part cela plus de nature à vous gêner quand ce n’est pas le moment que vous sauver la mise, sans même parler du côté perturbant pour des gens un peu plus émotifs que moi au volant… sans même parler de la tétra-chiée d’inattentifs tenant leur smartphone plus fort que le volant l’essentiel du temps.

    Probablement un beau scandale, sur ce qu’impose la technostructure européenne, en devenir…

    1. La similitude avec les affaires qui ont existé au début de la généralisation des régulateurs est qu’il est facile de regarder les logs (données enregistrées) pour voir si le freinage a été activé par la voiture ou non. Dans le cas des régulateurs ont regardais si la personne avait appuyé sur le frein. ici c’est l’inverse.

      Si le capteur a dysfonctionné, ce qui a déclenché le freinage, alors ça sera enregistré. Si c’est la personne qui a freiné alors le constructeur pourra le démontrer.

      Il serait intéressant d’avoir plus d’information sur le procès mentionné où une passagère a été tuée. Quelles sont les données ?

      1. Le problème, c’est ici que c’est le constructeur qui est juge et partie. Un peu comme Tesla qui ment par omission sur ce qu’ils ont comme données voir efface les celles du véhicule, quand ça les arrange.
        Dans l’aérien, les boites noires ne sont pas faites par le constructeur qui le peut piper les dés sur ce qu’elles enregistrent et ce qu’il veut bien en sortir en cas de crash.

        Certes un système informatique laisse toujours quelques traces (des métadonnées avec en particulier datation + hash de fichiers plus présents, pour Tesla, mais qui étaient une signature de ce qui avait été transmis, puis effacé et jamais fourni à la justice).

        Et même ainsi, le hash était un md5 sujet à collisions (ah ah!) et plus recommandé depuis 15 ans au moins: Cad que Tesla pouvait encore altérer l’original et c’est pas la puissance de calcul pour le faire qui leur manque.

        => En l’état, aucune confiance à avoir, zéro, nada. A se demander ce que branlent états/services d’homologation…

        1. Tesla en effet je ne leur fais pas confiance pour coopérer avec la justice, du fait des techniques en place pour échapper à la justice (communication orales ou via appli à messages qui s’effacent automatiquement) et de la pression appliquée sur les employés.
          Pour les constructeurs classiques (Peugeot, Renault etc…) c’est différent. La culture n’est pas la même. Le risque de dissimuler en cas de révélation est trop grand, un employé peut choisir de révéler ce que la direction cherche à cacher, et c’est du pénal dans des cas comme celui-ci (mort de quelqu’un), ça n’est pas la même chose que de trafiquer les émissions de CO² comme volkswagen, dissimilation moins grave et pourtant pour laquelle les dirigeants ont été condamné à de la prison.

  2. « après le remplacement d’un pare-brise ».
    Eh oui les entreprises qui remplacent les parebrises ne le font pas à l’identique. Une fois j’ai dû remplacer celui de ma BMW et Carglass m’appelle en me disant qu’ils vont reprogrammer le système ADAS par camera car le parebrise… est plus fin que celui d’origine et n’a pas la même densité. J’ai couru récupérer ma voiture en leur interdisant de la toucher.
    Surtout faites changer le parebrise chez un concessionnaire de la marque, même s’il faut avancer l’argent pour l’assurance.
    Alors, ces freinages fantômes je n’en ai JAMAIS expérimenté un. Des alertes collision intempestives oui (sur la Mini, assez courant en ville) mais jamais de freinage avec.
    L’accident dont on parle ici est assez spectaculaire mais peu courant. J’ai perdu bêtement une voiture à cause de l’ESP car je ne l’ai pas laissé faire et du coup j’ai contrebraqué de trop. C’est comme l’ABS certaines fois mieux vaut lever le pied du frein pour retrouver de l’adhérence.
    Bref, avant de jeter le bébé avec l’eau du bain il faudrait accepter que l’infaillibilité n’existe que dans les mathématiques.

  3. J’ai souvent la voiture qui me met le gros warning rouge DANGER, quand je roule dans une légère courbe et qu’il y a un suv ou une camionette garé sur le côté, j’ai jamais eu de freinage automatique en dehors d’une situation où je me gare, j’espère que ça va continuer

  4. Ce freinage fantôme est une plaie et il y a déjà eu un décès. C’est évidemment inacceptable et cette conductrice devrait être innocentée. Avocat ?
    Au delà de ces cas de freinages fantômes qu’il faut résoudre combien de vie sauvées grâce à ce système ? Il est impossible de répondre avec précision mais certainement bien davantage..
    J’ai ce système sur mon auto et il m’a bien aidé en 2 occasions alors je ne le déconnecte pas

  5. Si 80% des problèmes viennent après réparation et mauvais réglages, plus les fautes de conducteurs volontaire ou non, il reste quel % de causes inexpliqués ?
    J’ai des fois une alertes collision, toujours les mêmes configurations, ça ne veut pas dire que le système dysfonctionne, il suffirait de rouler légèrement moins vite ou quelques cm plus à gauche pour ne pas avoir d’alerte, c’est juste que le système a des limites et surement qu’il me sera utile un jour.
    Une fois j’ai manqué d’avoir un grave accident peut être mortelle, par ma faute (involontaire), évité de justesse et bien avec le système anti collision, ce ne devrait plus pouvoir se produire, alors avoir très rarement une alerte, ça ne me gène pas.

    1. S’il reste 20% de cas ne résultant pas de mauvais réglage après réparation, cela reste conséquent. Les cas cités lors d’essais avec des véhicules neufs (voir sélectionnés, mieux vaut y donner un bon numéro que risquer un mauvais) pour des essais presse ne sont pas rassurants.

      Une alerte OK, freiner (ou toute autre action, genre sur la direction en maintien de voie) à la place du conducteur si on ne sait assurer à 100% la certitude que c’est la bonne décision, non: Un seul cas d’accident résultant de l’action inappropriée d’un tel système destiné à en éviter invalide sa pertinence.

      Si on ne sait pas faire on ne fait pas, ou dans un cadre plus restreint genre délibérément très tard, cad plutôt pour limiter les conséquences d’un accident devenu certain que vouloir l’éviter avec une action plus anticipée, qui peut sans doute plus probablement résulter d’une mauvaise appréciation du système voir nuire à l’action du conducteur.

      Car il y a bien des fois ou freiner n’est pas la meilleure solution, je n’ose imaginer avec l’évitement en meilleure option me retrouver avec la bagnole qui pile, figeant en partie la direction… idéalement avec le maintien de voie qui me contre car cela me fait mordre la BAU ou la limite de voie. Ces situations ne sont déjà pas forcément simples alors on n’a pas besoin d’être emmerdé quand elles se présentent.

      En prime, avec un système vendu pour au mieux tenter de limiter la gravité d’un accident, on ne déresponsabilise pas le conducteur qui sait que le filet ne sera capable que de l’amortir sans jamais lui éviter de taper le sol.

    1. Vous lâchez la rampe décidément…vous avez une voiture ? C’est une machine qui remplace l’humain qui se déplace à pied, ou les humains des chaises à porteur…
      Vous utilisez un ordinateur ? Un téléphone ? Différents électroménagers ? Vous êtes donc nihiliste, c’est atroce…….

  6. J’ai oublié de répondre techniquement.

    Ces automatismes automobiles partent implicitement du principe qu’il n’y a pas besoin d’analyse de la situation pour prendre une décision de conduite (« je vois un panneau de limitation, je ralentis sans me poser de questions »), tout simplement parce qu’une machine est incapable de le faire.

    C’est exactement le contraire de ce que fait l’homme quand il conduit. Si 99 % des cas, il peut ralentir quand il voit un panneau de limitation, il reste 1 % où il ne peut pas (par exemple, le suivant qui le colle de trop près) et c’est le cas dangereux.

    L’obsession de la sécurité routière et le fantasme de suppléer aux défaillances humaines par la machine sont violemment anti-humains. Le progrès, oui. Mais le progrès imposé par des règlements, la machine obligatoire, est un fantasme bolchévique (ça va bien à l’UE). Cette tendance est favorisée par la féminisation et par le vieillissement de nos sociétés, c’est pourquoi elle est si difficile à contrecarrer.

    Les pilotes d’avion sont formés à surveiller les automatismes et à reprendre la main quand ils déconnent. On ne peut absolument pas attendre cela d’un conducteur ordinaire.

    Je me suis amusé à répertorier les cas où le radar de ma Toyota (qui n’est d’ailleurs pas vraiment un radar) déraille. J’ai un collègue qui a fait pareil avec sa Mercedes. Mais je ne vois pas ma mère faire la même chose, et pourtant ça améliorerait sa sécurité.

    1. « L’obsession de la sécurité routière et le fantasme de suppléer aux défaillances humaines par la machine sont violemment anti-humains. Le progrès, oui. Mais le progrès imposé par des règlements, la machine obligatoire, est un fantasme bolchévique (ça va bien à l’UE). Cette tendance est favorisée par la féminisation et par le vieillissement de nos sociétés, c’est pourquoi elle est si difficile à contrecarrer. »

      Juste pour bien comprendre. Tu es en train de dire que les femmes et les vieux conduisent tellement mal que la société est obligée de développer des technologies pour pallier à ces mauvais utilisateurs?

  7. On ne décide pas du bien-fondé d’une règle à partir de con exception. C’est hélas la mode en ce moment, la remise en question permanente incite certains à l’immobilisme y compris chez nos politiques. Ce n’est pas nouveau mais internet amplifie le phénomène et y donne davantage de visibilité.

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