Ayrton Senna, la nouvelle star
En 1985, Lotus nourrit de grandes ambitions. En plus du partenariat de pointe avec Renault, qui s’est retiré fin 1984 en tant qu’écurie constructeur mais fournit à Lotus l’un des meilleurs V6 Turbo, en plus de la présence de l’élégant et talentueux Elio de Angelis, pilier de l’écurie depuis plusieurs années, l’écurie britannique accueille le nouveau prodige de la F1, Ayrton Senna.
Révélé la saison précédente au volant de sa modeste Toleman-Hart, notamment sous le déluge de Monaco, le brésilien a cédé aux sirènes de l’emblématique écurie britannique, qui cherche encore, depuis qu’elle est orpheline de Colin Chapman, sa perle rare. Déçue de sa collaboration avec Nigel Mansell, Lotus est convaincu d’avoir trouvé cette fameuse perle avec Ayrton Senna, encore jeune et inexpérimenté, mais si fougueux et déterminé à vaincre au volant de sa nouvelle monture, la splendide monoplace noir et or.
Au Brésil, pour l’ouverture de la saison, le pauliste a dû abandonner mais la Lotus a prouvé qu’elle était bien née, comme en a attesté le podium décroché par Elio de Angelis, derrière le vainqueur Alain Prost, favori de la saison sur sa McLaren-TAG Porsche, et Michele Alboreto, sur Ferrari. Au Portugal, 2ème grand prix de l’année, le coup de théâtre est venu du garage Ferrari, où Alboreto a accueilli un nouvel équipier, le suédois Stefan Johnansson. Ce dernier remplace au pied levé le français René Arnoux, subitement évincé de la Scuderia. Jusqu’à aujourd’hui encore, les raisons de cette séparation brutale sont restées confidentielles.
Lors des qualifications, Senna a fait parler la poudre de son moteur Renault et décroché la première de ses 65 poles positions, avec quatre dixièmes de marge sur Alain Prost. Le jour de la course, des nuages menaçants s’accumulent dans la matinée au-dessus du tracé lusitanien avant qu’un puissant orage ne finisse par noyer Estoril sous les eaux.
Senna danse sous la pluie
Pour Ayrton Senna, c’est l’occasion d’un récital qui va entrer dans l’histoire. Lui qui a appris, dès son plus jeune âge et dès le karting, à maîtriser la glisse dans des conditions détrempées, roule ce jour-là dans une autre dimension. Au 20e tour, sans que personne ne puisse le suivre et rester dans son sillage, il possède déjà 30 secondes d’avance sur son équipier De ANgelis, qui tient en respect Alain Prost, jusqu’à ce que ce dernier, quelques tours plus tard, soit surpris par de l’aquaplaning dans la ligne droite en essayant de doubler l’italien et termine sa course contre la glissière de sécurité.
L’averse ne cesse de s’intensifier. Les abandons s’enchaînent et de nombreux pilotes font des signes désespérés en direction des officiels pour stopper cette course dantesque. En dépit d’une grosse frayeur qui lui fait perdre le contrôle de sa Lotus, celle-ci se retrouvant les quatre roues dans l’herbe avant de se rétablir miraculeusement sur la piste, Senna poursuit sa démonstration. Au 27e tour, il inflige un tour de retard à Niki Lauda. Au 56e tour, c’est son équipier, De Angelis, qui subit à son tour cette petite humiliation. Seul Michele Aboreto réussit à rester dans le même tour que le brésilien, mais à plus d’une minute. Une éternité !
L’Histoire ne faisait que commencer
Finalement, au 67e tour d’une course qui est interrompue au bout de 2 heures, Ayrton Senna remporte sa première victoire en Formule 1, déclenchant une joie hystérique au sein du staff Lotus qui bondit de joie au passage du drapeau à damier ! Et il n’a pas fait les choses à moitié, accomplissant un rarissime grand chelem : pole, victoire, meilleur tour et l’intégralité des tours menés ! Peter Warr, les bras levés comme jadis son prédécesseur Colin Chapman, accueille le pilote brésilien qui ne tient plus en place dans sa Lotus, harnais détaché, bras en l’air et criant de joie. Après la terrible frustration de Monaco l’année précédente, où le brésilien avait eu l’impression de s’être fait voler la victoire, personne ici ne peut contester son écrasante domination.
A seulement 25 ans, Senna entre dans l’Histoire et forge un peu plus la réputation qui fera de lui « Magic ». Comme Monaco 1984 le préfigurait déjà, le brésilien allait écrire plusieurs chapitres de sa glorieuse épopée dans ces conditions climatiques si particulières. Comme le furent avant lui Jim Clark et Jacky Ickx, et comme le seront après lui Michael Schumacher ou Max Verstappen, Senna était devenu le nouveau « rainmaster ». ll le prouvera à de nombreuses reprises par la suite, comme à Donington en 1993.