13 mai 1950 : Silverstone lance la grande histoire de la Formule 1

Après les raids, les vrombissements de la paix

Le 13 mai 1950 se tient le tout premier grand prix de l’histoire de la Formule 1, sur le circuit de Silverstone, qui était encore cinq ans auparavant une base aérienne de la Royal Air Force. Les moteurs qui s’apprêtent alors à vrombir ne sont pas destinés à survoler et bombarder le Reich, mais à enthousiasmer une foule avide de renouer avec les plaisirs de la vie. En ce début de seconde moitié du XXème siècle, dans une Europe encore en pleine reconstruction mais à l’aube des « Trente glorieuses », les Européens sont sur le point d’accéder en masse à l’automobile et vont se prendre de passion pour ce sport, symbole d’un Occident en pleine résurrection après les années noires.

Le Royal Automobile Club cherchait un endroit convenable pour organiser son Grand Prix. Avant la guerre, seuls existaient les pistes de Brooklands et Donington Park, qui n’étaient cependant pas disponibles après l’armistice.  Dans sa version originale, la piste se composait de simples routes d’accès, avec des infrastructures extrêmement basiques. Inaugurée en 1948, la course devient officiellement Grand Prix de Grande-Bretagne dès 1949, avec l’aménagement d’une véritable piste, composée de huit virages, dont un seul (Becketts) contraignait réellement à ralentir. Le tracé restera inchangé quasiment jusqu’en 1974, année où les organisateurs ajoutent la chicane de Woodcote, pour ralentir les monoplaces après le carambolage de l’édition 1973.

Le sommet de la pyramide

Lorsque la Commission sportive de la FIA a annoncé la création du championnat du monde pour 1950, Silverstone a eu le privilège d’organiser la première manche, avec le titre honorifique de Grand Prix d’Europe. Seulement cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la tenue d’un championnat du monde était un projet audacieux, alors que les économies européennes commençaient seulement à se relever et que de nombreuses plaies étaient à panser. N’oublions pas aussi qu’en 1950, la Guerre Froide est à l’ordre du jour. La première grave crise de Berlin, déclenchée par le blocus soviétique, s’est achevée en 1949 par une séparation entre la RFA et la RDA. Les constructeurs allemands sont d’ailleurs absents des grandes compétitions automobiles.

C’est en 1946 qu’avait commencé l’uniformisation des règles voulue par la Commission sportive internationale (CSI), sous le nom de « Formule de Course Internationale A », qui se trouvera rapidement abrégé en Formule A, puis Formule 1 à partir de 1949. Les constructeurs ont alors le choix entre des moteurs à compresseurs, dont la cylindrée se limite à 1 500 cm3 ou 4 500 cm3 pour les moteurs atmosphériques. La règle n’impose aucune limite de poids.

La catégorie est complétée en 1948 par la Formule B, dénommée dès 1949 Formule 2, qui reprend la règlementation d’avant-guerre des « voiturettes » limitées à 1500cc, puis enfin la Formule 500cc (des monoplaces à moteur de moto) qui prendra le nom de Formule 3. Par contre, la fameuse règlementation Grand Prix 3 litres à compresseur, qui avait donné en 1938 les fabuleuses et monstrueuses Alfa Romeo Tipo 312, Mercedes W164 et Auto-Union Type D, se retrouve interdite.

L’Europe, l’Europe !

Les temps ont bien changé, alors que la F1 est désormais mondialisée et toujours plus présente au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique. A l’époque, le calendrier se limite à six Grands Prix traditionnels en Europe, à savoir la Grande-Bretagne, Monaco, la Suisse, la Belgique, la France et l’Italie, tandis que les 500 Miles d’Indianapolis sont intégrées au championnat, à la demande des délégués américains de la FIA. Les points étaient attribués aux cinq premiers avec un barème de 8-6-4-3-2, plus un point bonus pour le meilleur tour en course.

Entre 1946 et 1949, il n’y a pas eu de championnat mondial mais un enchaînement de courses régionales, une trentaine par an, dont certaines recevaient le label « grandes courses ». La saison débutait traditionnellement par la « temporada » en Amérique du Sud, où les ténors européens venaient se frotter aux nouvelles terreurs locales, dont Oscar Galvez et un certain Juan-Manuel Fangio. La suite de la saison était dominée par les courses européennes, où les épreuves italiennes et françaises (grands prix de Pau, Reims, Albi, Nice, Marseille, etc…) occupaient une grande place.

Fomula Italia

La guerre a provoqué aussi un changement de générations. Les gladiateurs des années 30 se sont retirés, comme Rudolf Carraciola ou Manfred Von Brauschitsch. Tazio Nuvolari, vieillissant et rattrapé par la maladie, gagne un dernier grand prix à Albi en 1946 puis quitte la scène. Comme un symbole, son grand rival, Achille Varzi, trouve la mort en Suisse en 1948. Cette génération laisse place à de nouvelles idoles comme Alberto Ascari, Luigi Villoresi, Juan-Manuel Fangio ou encore Jean-Pierre Wimille – malheureusement fauché trop tôt.

Un absent de marque est à noter à Silverstone : la Scuderia Ferrari ! L’écurie de Maranello, devenue un constructeur à part entière en 1947, débutera en F1 seulement lors du deuxième Grand Prix, à Monaco, une semaine plus tard. La Scuderia Ferrari avait préféré prendre le départ du Grand Prix de Mons (épreuve de F2 en Belgique) car les primes offertes par les Belges étaient supérieures à celles des Anglais ! Cette décision ouvrait une voie royale à Alfa Romeo, qui dominait la scène des grands prix depuis 1947 avec son Alfetta 158.

Alfa Romeo 158, la première machine dominatrice de la F1

Cette 158 fut la monoplace à la carrière la plus longue, engagée pendant treize années, de 1938 à 1950, dans ses différentes versions, mais en maintenant le concept d’origine. Elle reste comme la voiture qui a gagné le plus grand nombre de courses de Formule 1, hors championnat et championnat du monde confondus. L’Alfa Romeo 158 était née au printemps 1937, au sein des ateliers de la Scuderia Ferrari — qui constituait alors la division expérimentale d’Alfa Romeo — sur la base d’un projet de l’ingénieur Gioacchino Colombo. Ayant commencé avec un 8 cylindres en ligne donnant 195 chevaux à 6 500 tr/min, la monoplace ne cessa d’évoluer pour atteindre en 1950 pas moins de 350 ch à 8 600 tr/min (pour une cylindrée de 1,5 litre !!!), et un poids de seulement 700 kg, soit un rapport poids/puissance de 2 kg/ch. L’Alfa Romeo 158 n’avait tout simplement aucune rivale !

Après une terrible année 1949 marquée par la mort de Jean-Pierre Wimille et Felice Trossi, ce qui avait poussé le constructeur à se retier de la saison, l’année 1950 signait le retour en force du Biscione avec une équipe entièrement nouvelle, dans laquelle figuraient deux pilotes italiens, le jeune Giuseppe Farina et le vétéran Luigi Fagioli, ainsi qu’un pilote argentin de presque 40 ans, fils d’immigrés italiens, dont on disait le plus grand bien : Juan Manuel Fangio.

Ce dernier n’était pourtant pas le bienvenu pour une partie des tifosis et de la presse, à une époque où les sensibilités nationalistes étaient encore fortes. A San Remo, la marque n’avait engagé que l’argentin, ce qui avait déclenché une vive polémique. Beaucoup n’admettaient pas un argentin derrière le volant d’une machine italienne… mais « il maestro » allait bientôt les faire changer d’avis.

Alfa à la parade

Le grand prix allait se disputer en présence de 200.000 spectateurs, sans oublier évidemment la venue exceptionnelle du roi et de la reine, accompagnés par la princesse Margaret et les Mountbatten. Les quatre Alfa de Farina, Fangio, Fagioli et Parnell occupaient les deux premières lignes. À bord de sa Maserati, Prince Bira était le concurrent le plus proche, à 1’’8 de la pole. Le reste du peloton, parmi lesquels figuraient les Talbot-Lagot d’Yves Giraud-Cabantous, Eugène Martin, Louis Rosier et Philippe Etancelin, était dans une autre division, étant relégués entre 3 à 7 secondes des Alfa Romeo. Louis Chiron, sur Maserati, s’était qualifié 11e à 5’’8 !

La course fut une formalité pour le Biscione. Farina conserva l’avantage, suivi de près par les trois autres Alfa qui échangèrent leurs positions lors des ravitaillements à mi-course.  Farina mena confortablement, remportant le grand prix après avoir mené 63 des 70 tours. Il coupa la ligne d’arrivée avec 2″6 d’avance sur Fagioli. Parnell termina troisième malgré un contact avec un lièvre qui avait endommagé sa calandre. Giraud-Cabantous et Rosier pointaient à deux tours pour récolter les derniers points mis en jeu. Le roi George VI n’était pas présent pour remettre les trophées, car à sa grande frustration, on lui avait dit de partir avant le drapeau à damier. Les chefs de la police ne pouvaient pas garantir la fluidité de la circulation !

Ferrari annonçait peu après sa participation à la 2e épreuve, prévue à Monaco. La grande histoire de la Formule 1 était en marche !

En cadeau, la F1 nous a offert sur Youtube les « highlights » du GP de Silverstone, colorisé !

(4 commentaires)

  1. Sortir 350 ch d’un 1.5l en 1950, quand on voit ce que nous sortent les constructeurs d’un 1.5l de série aujourd’hui, c’est plutôt pas mal.

  2. @seb : la F1 a même sorti des 1500 chevaux de moteurs 1500 turbo 🙂 mais ils cassaient après quelques 100 km 🙂

    1. Oui mais les techniques ont un peu évoluées en 75 ans quand même, les contraintes des modèles de séries aussi (conso, normes pollution, fiabilité, etc), et aujourd’hui on fait à peine mieux. Il y a 75 ans, la F1 avait un moteur qui faisait 233ch/l, aujourd’hui, le plus gros rendement des séries, il me semble que c’est la C63 AMG avec son 2l de 470ch, soit 235ch/l. Avant ça, ce moteur sortait 420ch dans l’A45 AMG-S, soit 210ch/l.
      On a quand même mis plus de 70 ans à retrouver ce rendement de série de manière fiable etc.

      Avec l’électrique qui arrive, on ne verra probablement jamais de moteur de série de 1000ch/l. Ce n’est peut-être pas plus mal parce qu’on se retrouverait avec des voitures normales de 100 ch avec des moteurs de 0.1l, de quoi faire peur à certain ^^ (1200 ch dans le 3 cylindres Puretech lol)

      1. Alors oui mais non. Les moteurs de série sont prévus pour tourner 100 000 km ou plus.
        Même Mercedes pour son étonnante AMG One avec moteur de F1 moderne a dû transiger….inspection complète du bloc tous les 50 000 km…intenable si on n’a pas un portefeuille blindé.
        Et le 1600 turbo sort 759 chevaux.

        Et c’est sans compter les dépollutions, les normes de bruit, etc.
        Si on s’enlève ces contraintes (ce qui n’existait pas à l’époque) on augmente sérieusement le rendement…mais sur 100 km….pas 100 000 ou 200 000 🙂

        Quand on regarde le championnat drift (genre le CFD), on a des moteurs qui grimpent à 1200 chevaux sur du V8 3 ou 4 litres (ils prennent du V8 pour le couple bas). Et ils réduisent à 500 ou 600 chevaux quand ils veulent économiser la mécanique (et les finances).

        Intrinsèquement avoir une grosse puissance d’une petite cylindrée n’est pas trop compliquée…c’est en rajoutant tout autour que cela se complique 🙂

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