Cars Story #11 : Matra Rancho ou la France qui ose

Le Matra Simca Rancho était plus une voiture tout chemin que tout terrain - (C) Constructeur

Le marché de l’automobile nous réserve parfois des surprises avec des voitures, qui comme le Matra Rancho, osent sortir des sentiers battus. Dans les années 60 et 70, nos principaux constructeurs nationaux s’évertuaient à proposer des voitures fiables, robustes et sérieuses. Un peu trop sérieuses même, et, disons-le franchement, elles étaient souvent ennuyeuses ! Fort heureusement, un irréductible constructeur résistait encore et toujours au « conventionnel ».

Un projet P12 qui sort des sentiers battus

Concevoir et lancer des voitures originales était devenu la marque de fabrique de la « Mécanique Aviation Traction ». Basée à Romorantin, la petite entreprise, plus connue sous l’acronyme « Matra », s’était fait un nom grâce à la course automobile mais aussi en reprenant la production de la Bonnet Djet, puis en lançant des coupés originaux comme la 530 ou la Bagheera. A la moitié des années 70, Matra souhaitait cibler une nouvelle clientèle avec une proposition plus familiale !

C’est ainsi que débuta le projet P12 en 1975. En dépit de crédits assez limités, il n’était pas question de proposer une berline conventionnelle. La petite équipe d’ingénieurs dirigée par l’incontournable Philippe GUEDON avait une petite idée en tête : s’aventurer sur le marché des véhicules de loisirs.

Du projet P12 à la Matra-Simca Rancho

Le coffre de la Matra-Simca Rancho s’ouvrait en deux parties – (C) Constructeur

Telle la France qui avait des idées mais pas de pétrole, l’industriel du Loir et Cher n’avait ni moteur, ni châssis afin de bâtir sa nouvelle voiture. Il a donc fallu, comme les fois précédentes, se tourner vers un partenaire afin de concrétiser le projet P12. Sans surprise, les ingénieurs de Matra ont de nouveau frappé à la porte de leur partenaire historique : Simca!

La conception du projet P12 a été réalisée en un temps record ! En effet, Matra a levé le voile sur son nouveau bébé en mars 1977 à l’occasion du Salon de Genève. Le modèle présenté était rouge et disposait de toutes les options possibles afin d’attirer le chaland : pare-buffle, feu orientable au niveau de la baie de pare-brise, pare-chocs en plastique noir, etc. Avec son look de baroudeur et son allure décalée, que l’on doit à Antoine VOLANIS, cette nouvelle Matra-Simca, s’est rapidement attirée la sympathie du public. Même son nom, Rancho, évoquait l’aventure !

Pourtant, la fiche technique du Rancho, qui était très conventionnelle, racontait une toute autre histoire ! Pour mieux comprendre la supercherie, on va jouer à un petit jeu ! Concentrez-vous sur la face avant ! Faites fi de tous les artifices ajoutés ici pour lui donner un air cool ! Focalisez votre attention sur les phares, les clignotants et le capot !

Simca 1100
La face avant du Rancho est similaire à celle de la Simca 1100 – (C) Michael Kauer de Pixabay

Vous y êtes ? Vous avez reconnu cette bonne vieille Simca 1100 des familles ? Enfin des familles, pas vraiment puisque c’est la version utilitaire VF2 qui a servi de base au Rancho ! Les 1100 VF2 quittaient les chaines de montage de Poissy afin de rejoindre le Loir et Cher où elles recevaient une cellule arrière en polyester ainsi que tous les éléments spécifiques à la Rancho.

Une Matra-Simca Rancho animée par un moteur Poissy

Sous le Capot de la Matra Rancho, on retrouve le moteur Poissy de la Simca 1308 GT – (C) Jiří Sedláček C.C 4.0

La mécanique a également été modifiée afin d’offrir un peu plus de puissance à ce mutant. La banque d’organes de SIMCA a été mise à contribution et c’est le moteur Poissy de la 1308 GT qui a été retenu. Ce bloc de 1442 cm3 offrait une puissance de 80 ch et était associé à une transmission mécanique à 4 rapports. Le reste des éléments mécaniques ainsi que la planche de bord provenait de la 1100. Cela est également valable pour la transmission qui se faisait aux roues avant. L’absence d’un budget digne de ce nom n’a pas permis aux ingénieurs de Matra de pousser le concept à son paroxysme en lui offrant une transmission intégrale. On laissa donc le concept du tout terrain aux anglais et à leur Range Rover et on inventa celui de la voiture tout chemin !

La carrière de la Simca-Matra Rancho a été assez calme. L’auto rencontrait un certain succès et la gamme n’a pas connu d’évolution notable jusqu’en 1979 ! Après une production de 22 734 unités, la Simca-Matra a tiré le rideau ! Fin de l’histoire ? Non ! La Simca-Matra Rancho est morte, vive la Talbot-Matra Rancho !

Ne dites plus Matra-Simca mais Talbot-Matra

Talbot-Matra Rancho
En 1980, la Rancho est devenu une Talbot-Matra – (C) Hatem BEN AYED

Durant l’été 1978, Peugeot a racheté l’ensemble des filiales européennes de Chrysler. Le lion de Sochaux a par la suite fait le choix de sacrifier la marque créée par Henri Pigozzi afin de relancer Talbot ! En toute logique, notre Rancho est ainsi devenue Talbot-Matra lors du lancement du millésime 1980 tout en restant inchangée sur le plan mécanique et esthétique.

A cette occasion, la gamme s’est diversifiée avec l’apparition de 3 nouvelles finitions. Commençons par l’emblématique « Grand Raid » ! Cette Rancho a joué à fond la carte de l’aventure. Au-delà de son apparence volontairement orientée « Tout Terrain » avec notamment un treuil électrique, la Grand Raid s’est dotée d’un différentiel à glissement limité afin de renforcer sa motricité. Son moteur était également conçu afin de pouvoir recevoir de l’essence ordinaire. Par conséquent, il avait un taux de compression plus faible et ne sortait plus que 78 ch.
La gamme s’est également étoffée vers le haut avec une « luxueuse » version X qui pouvait recevoir 7 places. Elle offrait en série les jantes en aluminium, des sièges en velours, une instrumentation complète comprenant le compte-tours ou encore des vitres teintées et la peinture métallisée. Les sociétés pouvaient aussi s’offrir leur Rancho avec la version Affaire Société. L’AS ne disposait plus que de deux sièges mais offrait un volume de chargement généreux et pouvait surtout être « détaxée ».

La Rancho ôte (brièvement) le haut

Une version découvrable de la Talbot-Matra Rancho a été lancée en 1980 – (C) Constructeur

Au cœur de l’été 80, Matra a osé lancer une version découvrable de son Rancho. Si la partie avant n’a pas changé, la cellule arrière en polyester a cédé sa place à un cadre tubulaire habillé d’une toile en vinyle que l’on pouvait totalement retirer. Cette Rancho découvrable s’est déclinée aussi bien en « AS » qu’en version « familiale ». Son faible succès (142 unités produites) et ses problèmes d’étanchéité » ont rapidement écourté sa carrière et elle a disparu du catalogue dès le millésime suivant…

La Talbot Matra Grand Raid a cédé sa place à… un pack Grand Raid – (C) Geoffrey TRÉMOREUX – Musée Matra

La Rancho découvrable n’a pas été la seule à disparaitre en juillet 1981. En effet, l’arrivée du modèle 82 a coïncidé avec la disparition de la Rancho Grand Raid. Il ne restait donc que la version de base, l’AS et la X qui ont reçu une nouvelle protection contre la rouille par cataphorèse ainsi qu’un pack optionnel dit… « Grand Raid ». Ce pack incluait le différentiel à glissement limité ainsi que tous les accessoires de la Rancho Grand Raid ! Toutes les Rancho, à l’exception de l’AS, ont également reçu une banquette rabattable 1/3 – 2/3.
L’année suivante, la Rancho a adopté de nouveaux rétroviseurs tandis que la « X » qui a reçu de nouvelles jantes en aluminium pouvait recevoir aussi une climatisation en option !

Romorantin fait de l’espace pour le successeur du Rancho

Matra Rancho
La Matra Rancho était, à sa manière, une voiture à vivre – (C) Constructeur

La suite de cette histoire nous amène à l’automne 1983. Matra, qui songeait à son avenir, a mis fin à son partenariat avec le groupe PSA. L’usine de Romorantin, grâce à un nouveau partenaire français, s’apprêtait à lancer une voiture à vivre originale et révolutionnaire.
Ces changements ont malheureusement sonné le glas de la Rancho, dont la production a cessé en octobre. Les ventes se sont poursuivies jusqu’en mai 1984 afin d’écouler les stocks disponibles. La Talbot-Matra Rancho a été produite à 33 723 exemplaires. Au total, la Simca-Talbot-Matra Rancho a fait le bonheur de 56 457 acquéreurs. Un bien joli score pour une voiture qui a ciblé un marché de niche et surtout un énorme succès pour Matra qui avait initialement tablé sur une production de 25 000 unités !

Les petites histoires de la grande Histoire

Talbot-Matra Rancho
Cette Talbot Matra Rancho est prête pour l’aventure – (C) Thibaut Emme

Petits gourmands ! Je sais que vous aimez avoir un petit peu de rab ! Alors place au dessert avec quelques petites anecdotes bien succulentes !
Le Rancho a été un véritable précurseur. Navigant dans l’univers des véhicules urbain de « loisirs » bien avant Toyota et son Rav4, il avait déjà un coup d’avance sur les SUV. Le Rancho a aussi et surtout été, sans le savoir, le premier « Ludospace ». Ce terme popularisé au milieu des années 90, avec l’apparition des versions « familiales » de la Citroën Berlingo et de la Renault Kangoo désignait une voiture, au look plus ou moins sympa qui se basait sur un utilitaire moyen.

Le Rancho, c’est « la recette du pain perdu appliquée à l’automobile » ! Cette citation, on la doit à Philippe GUEDON, le père de la Rancho. Moi, j’adore le pain perdu et vous ?

Philippe GUEDON est l’inventeur du Matra Rancho et… de l’Espace – (C) Geoffrey TRÉMOREUX – Musée Matra

En parlant de Philippe GUEDON, saviez-vous que c’était un ancien de Simca ? Et juste avant de rejoindre Romorantin, cet ingénieur avait travaillé sur le projet qui allait donner naissance à la Simca…1100.

La Rancho Courrèges a été un modèle unique – (C) Constructeur

La Rancho a connu quelques séries spéciales afin de soutenir ses ventes (Davos, Loisir et Midnight). Comme pour la Bagheera en 1974, le styliste André Courrèges s’est également penché sur la Rancho en 1978. Malheureusement, cette fois-ci le modèle n’a pas été mis en production et la Rancho Courrèges est restée unique.

Pour admirer le Rancho et d’autres petits bijoux du patrimoine automobile français, il suffit de faire un petit crochet par la ville de Romorantin. Le musée Matra vous permettra de (re)découvrir plusieurs modèles qui ont fait l’histoire de la marque comme l’Espace, la 530 ou encore les Murena et Bagheera. La course automobile occupe une belle place, le constructeur du Loir et Cher ayant écrit quelques une des belles pages du sport automobile français avec notamment le titre pilote (avec Jackie Stewart) et constructeur du Championnat du Monde de Formule 1 en 1969 Le musée propose aussi des expositions thématiques (l’épopée Renault au moment où nous bouclons ces lignes).

(7 commentaires)

  1. Ca restait une Simca avec son moteur bruyant, de plus en plus avec les KM. Je me suis toujours demandé comment cette voiture avait pu avoir le moindre succès !
    Voiture bien ancrée dans les années 70, où le loisir comptait plus que tout. Une méhari/Rodéo pour les familles, la voiture préférée des femmes de profession libérale, monsieur prenant la 911 SC.
    Ses descendantes sont les ludospaces, beaucoup moins branchés certes mais le principe reste le même : prendre un véhicule commercial et en faire une familiale avec beaucoup de place.

    1. Avec mes yeux de gosse… C’était l’une des autos de plus intéressant de l’époque !
      Dommage qu’une vraie version 4×4 n’a pas été commercialisé.
      Ce type d’auto aurait pu avoir des générations… L’actuelle serait sur la base de la C3 ou Panda 4X4.

  2. L’industrie automobile française post-1945 n’a fait que oser sans jamais aller au bout de ses idées et le paragraphe, ci-dessous, résume bien cet état d’esprit :

    « L’absence d’un budget digne de ce nom n’a pas permis aux ingénieurs de Matra de pousser le concept à son paroxysme en lui offrant une transmission intégrale. On laissa donc le concept du tout terrain aux anglais et à leur Range Rover ».

    Idem pour les sportives : les projets sont toujours avortés ou abandonnés en cours de route, l’industrie automobile française revient toujours à la case départ : les véhicules généralistes.
    La seule exception notable et qui perdure depuis 2014, c’est DS.
    Alpine aussi (pour les sportives) depuis 2016.

  3. Oui mais en 4×4 elle ne se serait pas beaucoup plus vendu.
    Et durant ses années 70 on avaient des coupées chez Renault, Peugeot, Matra et Alpine !

    1. Qui sait !?
      L’armée française a testé des Rancho, fin des années 70… Mais sans 4×4 de série… Apparemment, ce n’était pas vraiment utile !?
      Les tout chemins de l’époque étaient souvent des 4×4.
      Il y a 20 ans, certains fustigeaient les SUV sans version 4RM… Mais il y a 40 ou 50 ans, c’était vraiment important.

      1. « L’armée française a testé des Rancho, fin des années 70″
        ça devait être pour remplacer les R4 utilisées par les officiers.

         » Les tout chemins de l’époque étaient souvent des 4×4″
        ça devait dépendre des régions, mais dans mes souvenirs les 4×4 étaient rares, j’habitais la Picardie, les 4×4 légers les plus courants étaient des 2cv doubles moteurs (un mécano retraité en fabriquait pour les chasseurs locaux). La majorité des véhicules tout terrain étaient des Renault 2087, des CCKW, parfois des Dodge WC provenant des ventes de l’Armée Française, il y avait quelques Jeep provenant des surplus de l’Armée Américaine, ou des M201 ex armée française, mais elles sortaient rarement en dehors des commémorations.
        Sur la route, il était possible de croiser, de temps en temps, un convoi de quelques Land Rover Serie étrangères (RU, Belgique, Luxembourg …) qui traversaient le pays en direction de l’Afrique du Nord ou du sud de la France.

  4. Je me souviens d’avoir vu de mes yeux de gosse lors des vacances aux Alpes, Pyrénées, Sud de la France, forets, etc.
    Des Panda 4×4, Niva, des Land Rover 90 et 110 avant qu’ils s’appellent Defender, des 504 et 505 Dangel et P4, des Kangoo 1 4×4 (là, c’est plus récent. )
    Des divers service de l’état ou société nationalisé de l’époque… Il en avait « plein » même si c’était moins d’1 % du parc.

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