F1: test pour Caldéron, en attendant d’autres femmes ?
par Nicolas Anderbegani

F1: test pour Caldéron, en attendant d’autres femmes ?

Deux jours après le Grand prix du Mexique, la colombienne Tatiana Caldéron, pilote de développement Sauber, a eu l’opportunité de rouler sur le circuit Hermanos Rodriguez au volant de la C37 Alfa Romeo. Évidemment, en raison des restrictions d’essais privés, il s’agissait d’un roulage dans le cadre d’un tournage promotionnel, c'est-à-dire limité à 100 kilomètres et avec des pneus Pirelli de « démonstration », assez différents de ceux utilisés en course. Pour preuve, Caldéron a effectué son meilleur tour en 1’23, à 7 secondes des chronos réalisés par Charles Leclerc et Marcus Ericsson.

Zapping Le Blogauto Essai de l'Abarth 500E

Trois ans après Susie Wolff, qui avait piloté une Williams et 6 ans après le tragique accident en essais de Maria de Villota avec Manor, une femme a repris le volant d’une F1. Caldéron a bouclé 23 tours. « C'était incroyable de piloter la C37 » déclare la Colombienne. « La puissance, le freinage et l'adhérence de cette voiture sont incroyables, et j'étais très à l'aise en piste. On s’habitue à la vitesse en quelques tours et j'ai vraiment pris du plaisir. Je n'oublierai jamais cette journée », Sauber est satisfaite de la prestation de sa pilote : « Tatiana a (...) fait un très bon travail » souligne Xevi Pujolar, l'ingénieur de piste en chef de Sauber. « Nous sommes ravis de la voir si performante, et nous avons encore été impressionnés par son implication et ses méthodes de travail. C'est une étape positive pour notre championnat et nous voulons voir Tatiana poursuivre son évolution. »

Une présence rare

Caldéron évolue cette saison en Gp3, n’occupant que la 16e place du championnat. Si des femmes ont réussi à percer dans le management F1 comme Claire Williams ou Monisha Kaltenborn chez Sauber, l’engagement d’une femme comme pilote titulaire en F1 demeure encore très improbable. Les femmes pilotes, surtout en monoplace, sont encore très peu nombreuses sur les grilles de départ et les barrières mentales n’ont pas cédé. La présence d’une femme en F1 est un sujet récurent dans le paddock, relancé récemment dans un contexte international marqué par l’affaire Weinstein sur la place des femmes dans notre société, et dans le sillage de la pseudo-polémique suscité par la suppression des « grid girls ».  La série W, soutenue entre autres par David Coulthard et Adrian Newey, sera lancée en 2019 en accompagnement du DTM et verra s’affronter exclusivement des femmes à bord de F3, ce qui a suscité des réactions diverses. Alors que les uns saluent cette opportunité devant faciliter l’accès des femmes au sport auto, d’autres, comme la pilote britannique Pipa Mann, dénoncent une forme de « discrimination ».

Le sport automobile n’est pas foncièrement plus machiste que d’autres sports et il faut rappeler qu’il s’agit finalement de l’un des rares sports où les femmes sont en compétition directe contre les hommes, bien qu’elles représentent une infime minorité. Mais comme dans d’autres milieux de la société, on se trouve confronté aux mêmes problèmes : les femmes ne sont pas considérées prioritairement pour leurs compétences mais sont souvent utilisées pour faire « un coup de pub », cantonnées ainsi à leur image physique par le diktat du marketing.  Une journaliste britannique raconta qu’à l’occasion d’une conversation avec des pontes de Mercedes vers 2004, ces derniers reconnurent qu’il y avait de nombreuses femmes talentueuses en compétition automobile, mais qu’elles n’étaient pas assez « jolies » pour percer.

Des arguments plus ou moins recevables

Les arguments expliquant l’absence de femmes en F1 sont nombreux et certains rabâchés depuis longtemps : manque de moyens financiers, « plafond de verre » culturel, misogynie, capacités physiques limitées, sans oublier les arguments plus tendancieux, comme celui de Bernie Ecclestone qui déclarait en 2016 que les femmes pilotes « ne seraient pas prises au sérieux ». Récemment encore, Max Verstappen a botté en touche sur la question, mais sa réponse sibylline trahissait son scepticisme sur la capacité d’une femme à être performante en F1. Jean Todt indiquait récemment qu’il y a « un problème d’intérêt des femmes pour le sport automobile », sachant de surcroit que les candidates ne sont pas forcément orientées vers la monoplace, reproduisant ainsi des aprioris de « genre » que l’on retrouve parfois dans l’orientation professionnelle scolaire.

Les barrières mentales ont surtout la vie dure, et se répercutent sur les possibilités d’ordre économique qui pourraient permettre à des femmes de percer. Le sport automobile est fortement lié, dans nos constructions mentales, à une certaine image de la masculinité et beaucoup de pilotes accepteraient mal d’être battus en piste par une femme, de crainte que cela n’affecte leur image virile. Giovanna Amati, dans son livre Fast Life, expliquait ainsi que lorsqu’elle courait en F3, elle faisait changer la décoration de sa monoplace à chaque course pour être plus difficilement identifiable par certains pilotes qui préféraient aller au crash avec elle plutôt que d’être dépassés ou battus en piste. Gare attention à ceux qui hurleraient trop vite au machisme primaire. Carmen Jorda, membre de la commission sur les femmes dans le sport auto, déclarait encore cette année, qu’il serait plus aisé pour les femmes de piloter en FE plutôt qu’en F1, ce qui lui avait valu une réponse cinglante de Jenson Button – lequel n’a pas été toujours très subtil sur la question par ailleurs- qui rétorqua que cette déclaration « n’aidait pas les femmes » et que « La barrière physique n'est pas (leur) problème ».

Problème culturel, problème financier aussi (le sport automobile nécessite de trouver des sponsors, mais peu de marques sont prêtes à soutenir des femmes), davantage que problème physique. Les femmes pilotes de chasse en ont déjà fait la démonstration. Caldéron précisa d’ailleurs que le pilotage de la F1 n’avait pas posé de problème physique particulier " Franchement, je n'ai pas eu de problème physique, ce qui signifie que la préparation physique est allée dans le bon sens. Par certains aspects, j'ai trouvé ça plus facile à manier que la GP3. J'espère pouvoir continuer de montrer qu'il n'y a pas de désavantage physique [pour les femmes]."

Profitons-en pour faire un point historique sur les femmes en F1 et dans d’autres disciplines.

en F1

Maria Teresa De Filipis

Poussé par ses frères, cette napolitaine est historiquement la première femme à s’être engagée en F1, en 1958, sur une Maserati 250F. Elle termine 10e du grand prix de Belgique et peut compter sur le soutien de ses pairs comme Fangio ou Stirling Moss. Elle est considérée comme la pionnière, celle qui a ouvert la voie après-guerre aux femmes pour s’aventurer dans un sport si masculin.

Désiré Wilson

La sud-africaine avait visiblement un potentiel pour percer. Championne nationale de Formule Ford en 1976, elle essaie de se qualifier sur une Williams privée au Grand Prix d’Angleterre 1980. Elle réussit à prendre part à une course l’année suivante sur une Tyrrell pour son grand prix national. Tyrrell est opportuniste car il a besoin de sponsors et a perdu ses pilotes de la saison précédente. La sud-africaine réalise une performance correcte mais qui restera sans suite. A noter qu’elle dispute en 1980 le championnat britannique de F1 – Formule Aurora- et remporte la course de Brands Hatch, ce qui en fait à ce jour la seule femme à avoir gagné une course F1.

Lella Lombardi

Cette italienne a eu la meilleure carrière en F1 à ce jour, puisqu’elle a disputé 12 courses. En 1975, avec March, elle réalise une solide prestation en Espagne, terminant 6e du grand prix de Montjuich disputé sous un véritable déluge. La course ayant été interrompue prématurément, elle ne marque que 0,5 point mais reste à ce jour la seule femme à avoir inscrit des points en F1.

Giovanna Amati

Débutant en Formula Abarth en 1981, cette riche héritière roule en F3 italienne puis en F3000, avec quelques places d’honneur mais aucun résultat très probant. Malgré tout, elle obtient un test F1 avec Benetton en 1991, la rumeur voulant que ce privilège soit dû à des relations très proches avec Falvio Briatore, qui était alors le manager de l’écurie F1 Benetton.

En 1992, Brabham crée la sensation en engageant Amati pour le championnat du monde de F1. Clairement, il s’agit d’un coup médiatique pour attirer désespérément des sponsors dans une équipe en pleine décrépitude. Giovanna ne réussit aucune qualification, naviguant à plusieurs secondes de son équipier Eric Van de Poele. La farce de son engagement, plus marketing qu’autre chose, porte un coup durable à la présence des femmes en F1. Amati est remplacée par un certain Damon Hill pour le reste de la saison.

Et ailleurs ? La F1 semble très conservatrice, quand on regarde les autres disciplines .

en Indycar

Danica Patrick

C’est évidemment l’exemple contemporain le plus célèbre. Véritable phénomène médiatique, Danica a participé au championnat Indycar entre 2005 et 2011. En remportant la course de Motegi en 2008, elle devint la première femme à remporter une course dans un championnat majeur de monoplaces. Elle mène brièvement l’Indy 500 en 2005 et termine 3e de la mythique course en 2009, ce qui reste à ce jour le meilleur résultat d’une femme à Indianapolis. Sa reconversion en Nascar a été moins brillante, mais elle réalise néanmoins la pole position pour le Daytona 500 2013. Un autre exploit à mettre au compte de cette pilote de caractère, qui n’hésitait pas à aller dire aux pilotes masculins sa façon de penser.

Lyn St-James

A 45 ans, elle se qualifie pour les 500 miles d’Indianapolis 1992 et termine à la 11e place, décrochant le titre de meilleur rookie (débutant) de la fameuse course. Hormis quelques apparitions en CART et en Indycar, avec une 8e place comme meilleur résultat, Lyn St-James a surtout connu une belle réussite en Endurance, avec deux victoires de catégorie aux 24h de Daytona et une victoire aux 12h de Sebring en 1990 dans la catégorie GTO.

Janet Guthrie

Ingénieure aéronautique de formation, elle est la première femme à s’engager dans la très virile Winston Cup NASCAR en 1976. Elle dispute une saison complète et termine à cinq reprises dans le Top 10, dont une 6e place. Elle se distingue aussi en monoplace, qu'elle dispute à plusieurs reprises avec une 9e place à l’Indy 500 de 1979 comme meilleur résultat.

Simona de Silvestro

3e de la Formule Atlantic (l’équivalent américain de la F3) en 2009 avec 4 victoires, Simona dispute plusieurs saisons en Indycar et réalise sa meilleure saison en 2013, avec une 2e place à la course de Houston.

en Tourisme

Ellen Lohr

La pilote allemande a effectué une grande partie de sa carrière en tourisme dans le très relevé championnat DTM. Elle y court entre 1989 et 1996 pour Mercedes et a remporté une manche à Hockenheim en 1992. Elle reste la seule femme à s’être imposé dans ce championnat. Récemment encore, elle participait au championnat d’Europe des camions, finissant à plusieurs reprises dans le top 10 du championnat.

Tamara Vidali

Cette italienne a également fait toute sa carrière en Tourisme. Elle a participé aux championnats Italien, espagnol et allemand de supertourisme dans les années 90, compétitions qui étaient d’un haut niveau avec des pilotes réputés (Tarquini, Larini, Biela, etc.), Elle décroche de nombreuses places d’honneur, terminant entre autres 6e du championnat italien en 1993 sur une Alfa Romeo 155 avec deux podiums. Surtout, elle décroche le titre de vice-championne du Superstars Italia V8 championship en 2006 sur une Audi Sport avec 3 victoires.

en Rallyes

Michèle Mouton

Comment pourrait-on oublier la vice-championne du monde des rallyes ? Ayant fait ses armes dans les années 70 en championnat de France et en championnat d’Europe sur des voitures mythiques comme l’A110, la Lancia Stratos ou encore la Fiat 131 Abarth, elle est remarquée par Audi et remporte son 1er rallye mondial au Sanremo en 1981. Le "beau volcan noir" comme la surnomme la presse, en raison de son caractère bien trempé, crée la sensation. En 1982, elle gagne trois autres rallyes et manque de peu le titre, face à des pointures comme Hannu Mikkola et Stig Blomqvist. En 1985, elle remporte la fameuse course de côte de Pikes Peak toujours avec Audi puis remporte le championnat d’Allemagne des rallyes en 1986 sur une Peugeot 205 en raflant 6 rallyes sur les 8 de la saison. A la fin de la saison 86, elle annonce la fin de sa carrière au moment où les Groupe B sont interdites. Elle est aujourd'hui dans le management du WRC, après avoir été la première présidente de la commission FIA pour la promotion des femmes en sport automobile.

Sources et images : sites officiels et f1fanatics

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Pour résumer

Deux jours après le Grand prix du Mexique, la colombienne Tatiana Caldéron, pilote de développement Sauber, a eu l’opportunité de rouler sur le circuit Hermanos Rodriguez au volant de la C37 Alfa Romeo. Évidemment, en raison des restrictions d’essais privés, il s’agissait d’un roulage dans le cadre d’un tournage promotionnel, c'est-à-dire limité à 100 kilomètres et avec des pneus Pirelli de « démonstration », assez différents de ceux utilisés en course. Pour preuve, Caldéron a effectué son meilleur tour en 1’23, à 7 secondes des chronos réalisés par Charles Leclerc et Marcus Ericsson.

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