L’Etat est-il défaillant dans le Dieselgate ?

Dix ans après l’éclatement du scandale du Dieselgate, la France est de nouveau secouée par une affaire judiciaire. Trois associations – France Nature Environnement (FNE), la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) et l’ONG ClientEarth – ont saisi le tribunal administratif de Paris. Leur objectif : faire reconnaître la « carence fautive » de l’État français dans la gestion du dossier des véhicules diesel truqués, et l’obliger à prendre des mesures fortes, comme le rappel massif de millions de voitures.

Un État accusé d’inaction

Pour les associations, le gouvernement a largement failli à ses obligations. Elles rappellent que depuis 2015, année où l’affaire a éclaté au grand jour, la France n’a jamais exigé de rappels systématiques ni mis en place d’autorité indépendante pour contrôler la conformité des véhicules déjà en circulation.

Or, une directive européenne de 2018 impose justement à chaque État membre de se doter d’une telle instance. Selon les plaignants, la France a préféré fermer les yeux, alors que des millions de voitures équipées de logiciels truqueurs circulaient librement sur les routes, émettant bien plus de polluants que les seuils autorisés.

Il existe bien un organisme étatique de contrôle, le SSMVM (Service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs). Sauf que ce sont 10 fonctionnaires et gère aussi la conformité technique, ou autres. Selon France Info, le SSMVM aurait réalisé 16 essais de détection de logiciels truqués en 2023 et 20 en 2024. Trop peu s’il en est.

Des millions de véhicules concernés

Les chiffres avancés donnent la mesure de l’inaction dénoncée. En 2023, environ 3,3 millions de véhicules diesel « trafiqués » roulaient encore en France. Deux ans plus tard, en 2025, le chiffre reste considérable : près de 2,7 millions de voitures. Ces modèles, vendus entre 2009 et 2019, couvrent une large gamme de marques et environ 200 références différentes. L’impression donnée est que l’Etat et les constructeurs patientent le temps que les véhicules soient mis naturellement au rebus.

Selon des études indépendantes, ces véhicules rejettent de deux à dix fois plus d’oxydes d’azote (NOx) que les normes européennes. Ces gaz sont connus pour leurs effets nocifs sur la santé, en particulier sur le système respiratoire, et participent à la dégradation de la qualité de l’air dans les grandes villes.

Les demandes des associations

Les associations réclament d’abord la reconnaissance juridique de la faute de l’État pour « carence ». Elles demandent aussi au tribunal d’imposer des mesures contraignantes : rappel ou retrait des véhicules en circulation, mise en place d’une autorité de contrôle indépendante, et sanctions financières en cas de non-respect.

Elles suggèrent même une astreinte de 50 millions d’euros par semestre tant que les mesures ne seraient pas mises en œuvre. L’idée est de forcer l’État à agir rapidement, après des années de promesses non tenues. Le SSMVM affirme déjà avoir demandé à un organisme tiers pour ces procédures. Cela prend du temps car les constructeurs contestent et utilisent tous les moyens dilatoires pour reculer les coûteux rappels.

Le poids du précédent européen

Le scandale Dieselgate a éclaté en 2015 aux États-Unis, avant de s’étendre à l’Europe. Volkswagen avait été pris en flagrant délit d’avoir installé des dispositifs permettant à ses véhicules de détecter les phases de test en laboratoire. Résultat : les moteurs réduisaient artificiellement leurs émissions lors des contrôles, mais rejetaient bien plus de polluants en conditions réelles de conduite.

Depuis, plusieurs pays européens ont renforcé leurs contrôles et lancé des rappels. Mais la France, estiment les associations, est restée en retrait, préférant protéger son industrie automobile au détriment de la santé publique et du respect du droit européen. Evidemment, rien ne le prouve formellement.

Des enjeux sanitaires et politiques

Au-delà de la dimension juridique, le recours souligne un enjeu majeur de santé publique. L’exposition chronique aux oxydes d’azote est associée à des maladies respiratoires, cardiovasculaires et à une mortalité prématurée accrue. Pour les associations, laisser circuler des millions de véhicules non conformes équivaut à ignorer ces risques documentés.

C’est pour cela qu’elles jugent l’Etat défaillant dans sa mission de protection de la population.

Politiquement, l’affaire pourrait aussi peser lourd. Elle interroge sur la capacité de l’État à appliquer les règles européennes qu’il a pourtant transposées dans son droit national. Si le tribunal administratif reconnaît la carence, cela pourrait créer un précédent et obliger le gouvernement à revoir en profondeur sa politique de contrôle des émissions automobiles.

Un procès aux conséquences lourdes…pour tout le monde

L’audience devant le tribunal administratif de Paris sera déterminante. Une décision favorable aux associations pourrait entraîner un rappel massif de véhicules et un coût considérable pour l’industrie automobile. Elle renforcerait aussi l’idée que l’État ne peut plus se contenter de textes ou de promesses, mais doit agir concrètement pour protéger la santé des citoyens et l’environnement.

À l’inverse, si la justice estime que la France n’est pas en faute, les associations redoutent que l’affaire Dieselgate ne reste un symbole d’impunité industrielle, au détriment de la lutte contre la pollution atmosphérique.

Et pour les propriétaires des véhicules, quelles seraient les conséquences ? Juridiquement, les acheteurs des véhicules ne pourraient pas être tenu responsable de la sur-pollution de leur véhicule. Ils sont même « victimes » en un sens de la tromperie des constructeurs. Si le rappel est ordonné, ils devront – gratuitement – voir leur véhicule remis en conformité. Sauf que cela pourrait se traduire par une consommation excessive d’AD Blue (urée) qui est utilisé pour neutraliser les NOx.

Une autre possibilité serait une performance moteur moindre, ou une usure prématurée. Et c’est, évidemment, sans compter sur une valeur plus faible du véhicule identifié comme polluant. On ouvrirait alors potentiellement la porte à des poursuites groupées de clients floués. Encore plus de milliards à sortir pour l’industrie automobile.

Notre avis, par leblogauto.com

Airbags Takata ou Dieselgate, l’Etat français ne se montre pas très actif pour forcer les rappels. Pour les airbags il a fallu attendre plus de 10 morts avérées pour que l’Etat bouge et force les constructeurs à lancer enfin des rappels. Mais même là, il a fallu une deuxième phase avec l’Etat qui menace d’amende les retardataires.

Une nouvelle fois, le consommateur est le dindon de la farce et ne peut pas y faire grand chose. Condamner l’Etat changera-t-il quelque chose ? Pas sûr.

(12 commentaires)

  1. « Pour les airbags il a fallu attendre plus de 10 morts avérées pour que l’Etat bouge et force les constructeurs à lancer enfin des rappels. » : qu’en est-il des autres pays, européens ou non ?
    Ont-il fait mieux… ou pas ?
    Je suis preneur d’informations uniquement objectives, merci.

  2. sur le dieselgate le but est bien évidement de ne pas facher les constructeurs français qui furent de gros tricheurs

    1. Les constructeurs (tous à par VW) reconnaissent avoir utilisé les zones grises du règlement…
      Ledit règlement qui autorise de shunter certains équipements de dépollution dans certains cas.
      A la justice de se prononcer si c’est une zone grise ou ouvertement une triche. Pour le moment…rien.

      1. Il n’y a à ma connaissance que VW qui ait fait un truc qui excluait totalement la bonne foi de l’usage des zones grises: Déterminer via les différents capteurs (ABS en particulier) un passage au banc qui activait toutes les dépollutions, contrairement à un usage routier.

        Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, dès la fin des années 90 les proprios de TDi lassés de passer leur temps au SAV avec leur VW neuve se voyaient indiquer le connecteur à débrancher pour ne plus avoir de souci, en précisant bien de pas oublier de rebrancher pour le CT! Bref, le cas VW était connu de tout le secteur une quinzaine d’années avant que le scandale n’éclate.

        Ils avaient ici juste fait en sorte d’éviter cette manipulation aux clients, qui devaient parfois oublier et payer une contre visite, en automatisant le truc. Sauf que la responsabilité de ce shunt passait dès lors du client (qui suivait une consigne orale difficile à prouver et qui au pire n’impliquait que le mécano l’ayant donnée)… au constructeur.

        Si l’Europe a poussé à contrôler les véhicules déjà en circulation sur ces points et que la France est vraiment le mauvais élève, les dits véhicules étant vendus dans toute l’Europe d’autres pays auraient alors dû lever les lièvres s’il y en avait, sauf à ce que l’obligation se limite à ses constructeurs nationaux… ce qui poserait alors un pb de juge et partie: Jamais l’état allemand n’aurait mis en danger VW!

        Bref, à part encombrer la justice je me demande à quoi ce type d’action, trop tard et sans avoir fait des essais indépendants qui démontreraient quelque chose, peut servir. Juste la volonté de nuire?

        1. Chez FCA il y avait un chrono pour la désactivation après 22 minutes (soit après les tests labo).
          Chez d’autres, une désactivation en dehors d’une plage de température (les homologations étant faites à température constante et prévue).
          etc.

          C’est suffisamment flou pour que les tenants des deux camps se renvoient la balle indéfiniment…

          1. renault et sa plage de températures pour activer la dépollution entre 20 et 30° je crois, c’est bien connu que c’est la temperature moyenne en Europe

  3. On ne voit pas les mêmes assoc ou ONG (qui ont presque toujours les buts cachés dont les financements expliquent les actions) s’en prendre à des vignettes crit’air franco-françaises restées coincées en 2011. Si à l’usage, on fait en sorte de rendre inutiles les progrès normatifs, cela en sape totalement l’intérêt.
    De là à tricher, ou plus souvent encore exploiter à l’extrême les tolérances, certes il y a un pas mais un tel contexte n’est pas spécialement motivant non plus.
    Il serait à mon sens plus utile de vraiment faire en sorte que cela ne se reproduise plus (et coller ceux qui testent, même en renforçant les équipes, à tester des vieux modèles au lieu de ceux qui sortent n’y contribuera pas) que de corriger à la va comme je te pousse des véhicules déjà vendus et largement hors garantie, surtout vu les risques cités.

  4. « L’Etat est-il défaillant dans le Dieselgate ? »
    j’aurais tendance à répondre que ce n’est pas que pour le dieselgate que l’état est défaillant, mais aussi pour la lutte contre la pollution aux micro particules, pour les problèmes de fiabilités des moteurs Stellantis, pour les airbags Takata (*), pour le financement de l’éducation, pour l’imposition proportionnelle aux revenus de l’ensemble de la population, pour les délais de la justice, pour la possibilité pour l’ensemble de la population d’avoir accès aux soins …

    Donc, oui, dans le dieselgate, comme un tas d’autres trucs, l’état est défaillant, préférant sans doute faire plaisir aux copains et à la famille qu’à la population qui, pourtant, les nourris.

    1. L’état ne peut être rendu responsable du PureToc quand même! Pour un domaine comme l’éducation, le problème n’est clairement pas l’argent que l’on y mets car on est plutôt bien situé dans l’OCDE… mais surtout ce que l’on en fait et que reflète notre glissement continu dans les classements internationaux: Une bonne partie du budget salaire éponge par exemple le déficit des retraites fonctionnaires, au détriment des élèves et même des salaires de profs en activité, indigents vs nos voisins. Mais bon, 6 meilleurs mois côté fonctionnaires pour le calcul d’une retraite (avec la promo quasi systématique des 6 derniers mois… et de manière plus anecdotique s’arrêter de bosser le 2 janvier plutôt que le 31 décembre qui précède, ce qui permet de toucher l’intégralité des primes de l’année suivante non travaillée) et 25 meilleures années dans le privé. Le tout pour un secteur déséquilibré en cotisation par la baisse du nb de fonctionnaires qui est vue comme le seul moyen de limiter à terme les frais, toute remise en cause des avantages se traduisant par un (vrai, pas l’aimable plaisanterie en cours) blocage du pays.
      A chaque fois que l’on commence à évoquer le poids du déficit des retraites du secteur public dans notre dette, la chape de plomb tombe très vite!
      L’hôpital est aussi le seul à se démerder des cas graves tandis que les cliniques visent les cas rentables, bien aidées par le mode de tarification… Et la justice, qu’en dire? Là franchement j’en sais rien, pb de moyen comme ailleurs mais on travaille aussi à sa saturation avec un véritable bug du droit en cours de développement à force que chaque ministre veuille laisser son nom dans l’histoire à travers d’une nouvelle loi..
      Le seul impôt (on n’en manque clairement pas et pour un service de plus en plus minable!) véritablement lié aux revenus, c’est l’IR: Et il n’y a plus que 40% des foyers fiscaux qui le paient!!! Alors autrefois on nous expliquait que les petites sommes coûtaient trop en perception pour être rentables: OK, mais maintenant que tout est automatique et que c’est même globalement l’employeur qui fait le percepteur avec l’impôt à la source, il est où le pb à ce que tout le monde participe vraiment selon ses revenus… qu’on pourrait voir aussi redevenir (à minima, pour que des augmentations en soient vraiment) obligatoirement indexés à l’inflation comme cela reste le cas chez certains de nos voisins et que Mitterrand (soit disant socialiste) avait abrogé! Ce serait plus sain et simple que monter des usines à gaz à distribuer les chèques (énergie/rentrée…) pour acheter un semblant de paix sociale.
      Chez nous, lors de la période d’inflation post-COVID les actifs ont été au régime sec tandis que les retraites ont été revalorisées jusqu’à 2x l’an… car les retraités sont assidus aux bureaux de vote! Ce qui a accentué le déséquilibre avec les cotisations liées aux salaires.

    2. quelle doit être a réponse de l’état alors?
      les règles sur les emissions ne sont pas faites par les états, mais par l’Europe.Le règlement inclus des zones d’ombres, que tous ont utilisées. Seul VW (à ma connaissance) a délibérément conçu un logiciel ayant pour objectif de tromper le contrôle.
      les Airbags Takata c’est pareil, on a un organisme certificateur qui a validé l’utilisation du nitrate d’ammonium. En quoi l’état pourrait être coupable de quoi que ce soit? le choix de l’achat des takata revient aux constructeurs, mais qui de bonne foi ont acheté un appareil certifié.

      l’éducation et les services publics en revanche sont bien du seul ressort de l’état et de ses délégataires, région/département/commune. l’état c’est notre bien commun. on ne peut lui confier que des rôles/responsabilités à sa portée. Je me marre des accusations d’inaction climatique, nous sommes le pays qui à l’énergie la moins carbonée du continent. j’imagine que les associations minées par les activistes politiques en mal d’existence et de reconnaissance en font leur fond de commerce.

      1. psa et renault ont également grugé , pardon « utilisent les zones d’ombres » : capot ouvert le systeme de dépollution fonctionne à son maximum

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