Elle n'a jamais couru, épisode 18 : AGS F1 W12
par Nicolas Anderbegani

Elle n'a jamais couru, épisode 18 : AGS F1 W12

AGS, c'était le petit poucet français de la fin des années 80. A l'époque, le plateau F1 est envahi par une multitude de petites équipes, souvent italiennes, plus ou moins farfelues. Mais à côté de Ligier, bien soutenu par les deniers de l’État, l'écurie varoise basée à Gonfaron tente le coup en 1986 après quelques jolis succès en F2, avec une équipe de passionnés.

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Irréductibles varois

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Après les brefs espoirs entrevus en 1988, une usine toute neuve et une piste d'essais à disposition (!), 1989 est une saison catastrophique, faute de moyens. Le sponsoring de Bouygues s'est volatilisé et l'équipe a perdu son chef de file, Philippe Streiff, gravement accidenté à Rio en début de saison. Gabriele Tarquini décroche un miraculeux point au Mexique et manque de peu un joli résultat à Monaco, puis l'écurie s'enfonce dans l'épreuve ingrate des préqualifications et des non-qualifications.

C'est alors qu'un nouveau projet est sur le point d'aboutir, les premiers contacts remontant à 1987 : AGS va faire tourner une monoplace équipée d'un nouveau moteur français, le MGN. Un moteur...W12, développé par un certain Guy Nègre. Il est donc nécessaire de revenir sur ce personnage, avant de passer à la suite !

Envers et contre tout

Guy Nègre, ce fut pour les uns un Géo-trouvetou audacieux, obstiné et passionné, pour d'autres un farfelu tendance mythomane dont aucun projet ne fut jamais concrétisé. Toujours est-il que Nègre se fait une bonne réputation d'ingénieur motoriste dès la fin des années 60, en collaborant avec Renault sur la préparation de R8 Gordini puis en fondant la société SACMA, spécialisée dans la conception de moteurs pour l'aviation légère. On le retrouvera plus tard dans l'aventure du moteur à air comprimé, l'Airpod, qui rencontrera bien des vicissitudes à travers sa société MDI puis son partenariat avec Tata Motors, sans jamais aboutir à une production en série.

Pour en revenir aux années 80, Nègre fonde donc la société Moteur Guy Nègre, avec pour ambition de développer un moteur de Formule 1 en surfant sur la nouvelle donne règlementaire provoquée par l’interdiction des turbos. Mais, fidèle à son habitude, il n'est pas question de faire comme les autres. Le moteur aura une architecture en W12, qui avait connu son heure de gloire dans l'entre-deux-guerres avec le Napier-Lion. Un moteur particulièrement puissant qui avait équipé des bateaux, des avions et des voitures de record, mais sa complexité et son coût de fabrication demeuraient très élevé, ce qui avait finalement eu raison de cette technologie. Guy Nègre s'y intéresse car il espère combiner la compacité d'un V8 avec une puissance équivalente voire supérieure aux V10 et V12 atmosphériques qui ont été réintroduits en F1 à partir de 1989. Ferrari s'y était frotté par le passé mais avait laissé tomber, le motoriste suisse Mader y a cru au début des eighties avant de renoncer, la plupart des motoristes estimant que les inconvénients sont plus nombreux que les avantages...

Moteur complexe

Son équipe se met à l'ouvrage, avec des moyens somme toute limités: son bureau d'études se compose seulement de 6 personnes, y compris pour l'usinage des pièces...Les cylindres sont divisés en trois rangées de quatre, chacune distante de 60 degrés et régies par un vilebrequin commun. Mais en plus de cela, le MGN dispose d'un système de distribution rotatif, une technologie à laquelle Guy Nègre croit depuis longtemps. Il l'avait même expérimentée sur une Alpine et avait travaillé sur un kit de culasses rotatives pour la Peugeot 205.

Le système se passe des soupapes à clapet traditionnelles, des ressorts et des arbres à came. Le but ? Obtenir des vitesses de rotation plus élevées et de meilleurs performances à haut régime, tout en réduisant le phénomène d'"affolement des soupapes" (les ressorts des soupapes n'arrivent plus à suivre le rythme du cycle de combustion du moteur) et les vibrations, le tout pour un confort d'utilisation accru.

Sur le banc, le MGN W12 de dernière évolution (5 blocs en tout sont produits) est annoncé à 12500 tours/min, soit 1000 de plus que le V8 Judd ou que le V8 Cosworth DFR "entrée de gamme", et promet 630 chevaux. C'est justement sur ce marché des petits fournisseurs (Judd, Motori Moderni) que Nègre veut se positionner.  Niveau mensurations, c'est 420 mm en hauteur, 530 en largeur, 538 en longueur pour un poids annoncé de 120 kilos, avec des points d'encrage identiques au V8 Cosworth.

Essai sans lendemain

Henri Julien, le fondateur historique d'AGS, tient parole. Certes, il n'est plus le "boss" de l'équipe, qui a été reprise par l'affairiste haut placé Cyril de Rouvre (tiens donc, que l'on retrouvera chez Ligier) mais il est toujours détenteur de l'ancien matériel. Julien est pragmatique : "si le MGN offre 50 chevaux de plus que le Cosworth et qu'il est fiable, on prend !". On fournit donc un vieux châssis, la JH22 de 1987, pour un essai sur le circuit du Grand Sambuc en septembre, près de Vinon-sur-Verdon où Nègre a ses quartiers.

MGN, déjà pris à la gorge financièrement, s'évertue à modifier la coque pour l'adapter au moteur qui fait preuve d'une belle compacité: carrosserie, fond plat, pontons, circuit d'eau, faisceau électrique et électronique, il faut tout revoir et modifier.  Au volant, c'est Philippe Billot qui doit assurer le roulage. Ce n'est pas un pilote de course pro, mais un essayeur chargé de la maintenance et de la mise au point de monoplaces appartenant à des collections privées.

Le roulage a bien lieu. Une trentaine de tours. Le rodage impose de ne pas dépasser 9000 tours, l'allumage fait des siennes. Le pilote confiera néanmoins avoir éprouvé de bonnes sensations, le MGN étant un moteur disposant de pas mal de couple, montant très vite en régime et vibrant beaucoup moins qu'un V8 Cosworth. Malheureusement, il n'y aura pas de suie à cette expérience. Manque de moyens, électronique balbutiante faite maison, soucis d'étanchéité des chambres de combustion (un problème inhérent au concept) et de mise au point...les inconvénients étaient trop nombreux. AGS retourne à son V8 Cosworth.

Nègre ne renonce pas pour autant et décroche un partenariat avec Norbert Santos afin d'équiper un proto Norma M6 du W12 en vue de l'aligner aux 24 heures du Mans 1990. Mais après la traditionnelle pesée, le moteur refusera de démarrer et la Norma ne parcourt pas le moindre mètre des qualifications. Un échec cuisant, qui coûta cher à Norma et sonna le glas du MGN, Nègre se rabattant sur l'air comprimé à partir de 1991 avec sa nouvelle société MDI. Un autre W12 connut une histoire tout aussi rocambolesque, le bloc Rocchi qui "essaya" de faire rouler la pauvre monoplace Life au cours de la saison 1990 de F1. Mais c'est une autre histoire !

Images : flickr, wikimedia commons, AGS

Merci également à M.Philippe Leloup, un ancien de l'épopée AGS, qui m'a donné quelques renseignements et des images !

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Pour résumer

AGS, c'était le petit poucet français de la fin des années 80. A l'époque, le plateau F1 est envahi par une multitude de petites équipes, souvent italiennes, plus ou moins farfelues. Mais à côté de Ligier, bien soutenu par les deniers de l’État, l'écurie varoise basée à Gonfaron tente le coup en 1986 après quelques jolis succès en F2, avec une équipe de passionnés.

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