F1 Abu Dhabi : une page d’histoire de 50 ans s’est achevée, discrètement, pour le moteur Renault. Retour sur 12 dates de l’épopée du losange.

Renault f1

Un géant parti en toute discrétion

Il n’y a pas eu de “miracle” ou de “baroud d’honneur” : le moteur Renault a disputé à Abu Dhabi son 771e et ultime (pour l’instant) grand prix, avec les 19e et 20e places pour les Alpine de Pierre Gasly et Franco Colapinto. L’émotion était palpable, et l’écurie a eu le plaisir de recevoir la visite de Fernando Alonso, qui n’a jamais cessé d’être reconnaissant pour cette équipe avec laquelle il a connu la gloire. Au soir d’une saison particulièrement catastrophique, c’est une page de 50 ans quasiment ininterrompue de présence en F1 qui s’achève un peu tristement, par la petite porte, en catimini presque. 

Quel palmarès !

A l’exception des années 87-88, le moteur Renault, sous ses différentes formes (V6 Turbo, V10, V8, V6 Turbo hybride) a toujours été présent depuis 1977, sous son nom ou d’autres appellations marketing (Supertec en 1998-2000, TAG Heuer avec Red Bull entre 2016 et 2018). Il est bon de rappeller que Renault est le 2e motoriste le plus titré de l’histoire de la F1, après Ferrari, avec 12 sacres. Le 4e le plus victorieux (169 victoires, plus les 9 succès du Red Bull TAG Heueur) derrière Ferrari, Mercedes et Cosworth. C’est aussi 213 poles, 177 meilleurs tours et 465 podiums.

Un discret “Merci Viry” sur le capot et des signatures sur le bloc moteur. Les décideurs, animés par des considérations économiques et politiques, savent bien que ce choix d’abandonner le moteur français, en plus de susciter colère et amertume à Viry, n’est pas très bon en termes d’image ! Revenons, à travers 12 dates, sur les grands moments de cette aventure sportive et technologique française.  

Silverstone 1977 : les débuts de la “théière jaune” 

Suite au rachat du A fléché par le losange, Renault fusionne Alpine et Gordini dans l’entité Renault Sport en 1976 et reprend à son compte le projet F1 d’Alpine initié par le prototype A500. Renault fait débuter son projet 100% maison au grand prix d’Angleterre, soutenu aussi par le pétrolier Elf et Michelin qui introduit la carcasse radiale. C’est surtout une révolution mécanique qui débarque en F1, avec l’introduction de la technologie Turbo, à laquelle pas grand monde ne croît. Les débuts sont difficiles, à cause du turbo lag et de la fiabilité douteuse du V6 Renault, qui suscite les moqueries de quelques spécialistes anglais lui donnant le sobriquet de “théière jaune”.  

Dijon 1979 : les adversaires rient jaune désormais ! 

Malgré les pannes à répétition, les progrès sont lents mais sûrs. Les problèmes de turbo lag sont résolus par le passage à deux turbos plus petits fournis par KKK, et la RS10 est aussi plus affutée sur le plan aérodynamique. Les premières pole positions confirment le bien fondé du pari technologique de Renault, mais la délivrance survient à Dijon, où Jean-Pierre Jabouille fait enfin triompher le moteur français. Un nouvel âge d’or tricolore s’ouvre ! Surtout, c’est branle-bas de combat chez la concurrence : tout le monde comprend qu’il faudra bientôt un moteur turbo pour vaincre. 

Castellet 1982 : la victoire au goût amer 

En 1982, les turbos dominent ostensiblement la F1. Le moteur Renault est l’un des meilleurs et des plus puissants, mais la fiabilité demeure incertaine. C’est aussi une guerre technologique et d’innovation qui s’engage, dans laquelle Renault n’est pas en reste : cette année-là, le losange introduit la technologie DPV (Distributeur à Pré-rotation Variable) qui améliore la mise en vitesse du turbo, ainsi que l’échappement soufflage qui, judicieusement placé sous le diffuseur, permet d’augmenter l’appui. Au grand prix de France, Renault signe un doublé historique avec René Arnoux et Alain Prost. Seulement, ce dernier dénonce le non-respect des consignes du premier, qui était censé donner la victoire à Prost, mieux placé pour jouer le titre. Un gros couac qui empoisonne les relations internes dans l’équipe.  

Montréal 1989 : Renault et Williams, un tandem plein d’avenir 

La première “ère” F1 de Renault s’était arrêtée à la fin de 1985 pour l’écurie constructeur et fin 1986 pour le motoriste, après une belle collaboration avec Lotus et Senna. Une cellule de veille a été maintenue à Viry pour rester à l’affût d’un retour, qui est effectif en 1989 à l’occasion du rétablissement des moteurs atmosphériques en F1. Alors que Ferrari renoue avec le V12, Renault choisit, comme Honda, de miser sur l’architecture V10 avec un RS1 de 650 chevaux. Le V10 doit offrir le meilleur compromis en termes d’encombrement, de puissance et de consommation. Pas d’écurie constructeur cette fois-ci, mais un partenariat de choix avec l’écurie britannique Williams, qui a connu le succès avec Honda en 1986 et 1987. Thierry Boutsen s’impose au Canada et inaugure ainsi le palmarès du V10 français.  

Hongrie 1992 : Nigel Mansell offre enfin le titre 

En 1991, Williams-Renault monte en puissance et devient l’écurie la plus performante dans la seconde moitié de la saison, ce qui avait permis à Nigel Mansell de challenger Ayrton Senna pour le titre mondial. Le brésilien, sur sa McLaren à V12 Honda, avait eu le dernier mot, fort d’une meilleure fiabilité et d’une meilleure gestion des courses. En 1992, la Williams FW14B, armée du V10 Renault RS4 de 750 chevaux, bourrée d’aides électroniques sophistiquées et d’une redoutable suspension active, est l’arme absolue. Elle permet à Nigel Mansell de dominer outrageusement la saison et de décrocher son seul titre de champion du monde des pilotes et le premier du moteur français, sur le Hungaroring.  

Portugal 1993 : Prost boucle la boucle 

Alain Prost et Renault s’étaient quittés en froid à l’issue de la saison 1983, après avoir perdu le titre dans des circonstances troubles face à Nelson Piquet et sa Brabham-BMW. Dix ans plus tard, le Professeur revient en F1, après une année sabbatique consécutive à son licenciement brutal par Ferrari fin 1991. Au cours d’une saison loin d’être simple, marquée par des tensions avec les médias – surtout après un début de saison mitigé – et des polémiques avec la FIA, Alain Prost décroche à Estoril son 4ème et ultime titre avec Williams, en terminant second derrière Michael Schumacher. Il signe 7 victoires cette année-là, dont une en France, à Magny-Cours. 

France 1996 : 4 à la suite 

Cette année-là, Williams domine outrageusement avec Damon Hill et Jacques Villeneuve. Seul Ferrari, avec sa nouvelle recrue Schumacher, vient les taquiner mais à Magny-Cours, le V10 Ferrari de l’Allemand rend l’âme dans le tour de chauffe. Hill gagne devant Villeneuve et les Benetton-Renault de Jean Alesi et Gerhard Berger : 4 moteurs Renault aux 4 premières places, en France. Le triomphe tricolore est total ! 

Jerez 1997 : final tendu ! 

Renault annonce son retrait officiel à l’issue de la saison, après les titres des constructeurs de 1992, 1993, 1995, 1996 et 1997 (tous avec Williams sauf celui de 1995 avec Benetton) ainsi que le titre pilotes en 1992, 1993, 1995 (avec Benetton et Schumacher) et 1996. Le titre pilote se joue encore en Espagne entre Jacques Villeneuve, sur Williams, et Michael Schumacher sur Ferrari. Le duel se dénoue au 47e tour, quand Jacques Villeneuve lance une attaque “freine tard” et provoque une faute monumentale de Schumacher, qui tente de fermer la porte au canadien et finalement se retrouve bloqué dans les graviers. Ramenant sa Williams abîmée à l’arrivée, Villeneuve offre ainsi un 5ème titre pilote à Renault, concluant ainsi 8 années incroyables pour le moteur tricolore.  

Hongrie 2003 : la victoire du renouveau 

Renault est revenu comme motoriste en 2001, avec Benetton. L’écurie est rachetée, pour ressusciter dès 2002 l’équipe constructeur, toujours articulée entre le pôle châssis à Enstone et le pôle moteur à Viry. Dans le même esprit que 1977, Renault a fait un choix technique audacieux : le nouveau V10, le RS21, signé Jean-Jacques His, dispose d’un angle d’ouverture très élevé à 111° , qui permet d’abaisser au maximum le centre de gravité. Après deux saisons délicates, les résultats payent en 2003 grâce à une excellente monoplace R23 et à la qualité des pneus Michelin. Fernando Alonso redonne au losange le goût de la victoire en Hongrie, se permettant en plus d’infliger un tour de retard à Schumacher. 

Interlagos 2005 : le sacre total 

En 2004, Renault a abandonné son V10 à 111° et revient à une solution plus classique. Le RS25 de 2005 est l’apogée de l’ère V10, avec un moteur à 72° montant à 19000 tours et développant plus de 900 chevaux. Incroyable. Fernando Alonso se montre intraitable avec sa monoplace R25. Il remporte une victoire mémorable à Imola, résistant pendant de longs tours aux assauts de Schumacher, et décroche enfin le titre au Brésil grâce à une 3e place. Il récidive l’année suivante, après un duel serré face à Michael Schumacher.  

Abu Dhabi 2010 : le hold-up de Vettel 

En 2006, la F1 est passée au V8. Tout en maintenant son écurie constructeur, Renault reste dans la course et s’associe intelligemment à la nouvelle étoile montante, Red Bull, qui dispose d’un sacré talent avec Sebastian Vettel. Lors de la finale d’Abu Dhabi, Ferrari se fourvoie totalement sur la stratégie d’Alonso. L’espagnol s’arrête trop tôt pour couvrir l’arrêt de Mark Webber et se retrouve englué dans le peloton, ouvrant la voie à Vettel qui gagne et coiffe sur le fil son premier titre mondial, qui sera suivi de trois autres d’affilée. 

2021 : les espoirs de “El Plan” à Budapest 

Après avoir gagné plusieurs titres de motoriste avec Red Bull, le divorce est consommé avec l’écurie autrichienne sous l’ère hybride. Le V6 turbo Renault souffre de la comparaison avec le moteur Mercedes, en fiabilité comme en puissance. Tandis que Red Bull se sépare du moteur français fin 2019, Renault a ressuscité, une fois de plus, son écurie constructeur en 2016. En 2021, la “Renaulution” du groupe automobile a comme corollaire sportif la fin de Renault Sport et la mutation de l’écurie en “Alpine F1 team”.

En 2021, l’équipe est pleine d’espoirs et dispose d’un beau duo, conjuguant la jeunesse d’Esteban Ocon à l’expérience et à la grinta de l’enfant prodigue Fernando Alonso, revenu au bercail après des années difficiles avec McLaren. En Hongrie, Ocon profite d’un scénario rocambolesque pour se retrouver en tête. Il résiste à Vettel, tandis que Fernando Alonso sort le grand jeu et bloque pendant plusieurs tours Lewis Hamilton pour l’empêcher de remonter sur son équipier. Ocon gagne et donne à l’écurie française sa première victoire 100% tricolore depuis 1983 !  

Spirale infernale

Malheureusement, la suite ne sera qu’une longue descente aux enfers : la valse des teams managers, la restructuration sans fin, le départ fracassant d’Alonso fin 2022, le ridicule de la promotion foirée de Piastri,  l’incapacité de remettre le V6 Renault à niveau à cause du gel de développement, les ratés techniques révélant la “guerre froide” entre Enstone et Viry, les affres de la gestion politico-sportive…Le projet n’a cessé de faiblir et l’écurie de régresser au classement, avec une triste 10e et dernière place en 2026. Quand on pense qu’en 2022, Alpine avait terminé devant Mclaren au championnat…Le dernier clou du cercueil fut donné fin 2024, quand Luca Di Meo, avec la bénédiction de Flavio Briatore, revenu en “sauveur”, annonçait le passage d’Alpine au moteur Mercedes en 2026. Viry a dû déposer les armes, alors même que le projet de moteur nouvelle génération était sur les rails.  

(2 commentaires)

  1. Je suis très triste !
    Ils ont été souvent les meilleurs durant très longtemps.
    Maintenant, il faut qu’ils arrêtent la F1.
    Une Alpine sans moteur Renault … Ce n’est pas une Alpine.
    Qu’ils misent tout sur le WEC.

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