Marques disparues, #12 : Eagle, incapable de s'envoler
par Nicolas Anderbegani

Marques disparues, #12 : Eagle, incapable de s'envoler

Née sur les ruines du rêve américain de Renault, Eagle a souffert dès le départ d'un problème d'identité. Un cas symptomatique des turbulences traversées par Chrysler à l'époque...et des excès du "rebadgage" compulsif !

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Grandeur et décadence d'AMC

4ème constructeur américain derrière les fameux "Big Three" (GM, Ford et Chrysler), AMC (American Motors Corporation) connaît un certain succès jusqu'au début des années 70, grâce à des modèles de caractère comme la Matador, la Hornet ou encore la Javelin. AMC profite également du label Jeep. Mais dans la seconde moitié des seventies, le contrecoup du choc pétrolier, la récession, l'émergence de la concurrence japonaise et le vieillissement de l'appareil productif plongent AMC dans une sévère crise financière. Certes, le constructeur sait innover, comme en témoigne l'originale AMC Eagle Wagon sortie en 1979, sorte de crossover/SUV avant l'heure, mais le constructeur n'a plus les moyens de développer de nouveaux modèles ni de moderniser son outil industriel.

L'autre pacte Atlantique

Seule une alliance avec un autre constructeur peut sortir AMC de l'ornière, ce qui est chose faite quand Renault, soucieux de s'implanter outre-Atlantique, devient actionnaire en 1979 et investit fortement dans la modernisation des usines et du réseau. Cela se traduit par la commercialisation en 1983, via le réseau AMC, de la Renault Alliance, une R9 adaptée aux normes US, puis de la Renault Encore dérivée de la R11. Les ventes sont très encourageantes au début (plus de 200.000 Alliance vendues en 1984), et AMC se repositionne sur les compactes, mais les choses tournent vite : les soucis de fiabilité, abondamment relayés par la presse en 1986, font chuter les ventes et le marché se retourne brusquement.

Après la difficile récession de 1982, l'économie américaine repart de plus belle en 1984/1985 et le Reaganisme se conjugue avec l’assouplissement des normes antipollution, ce qui traduit par une réorientation de la demande vers des modèles plus gros dont AMC est dépourvu. Pour couronner le tout, Renault se trouve à son tour dans la tourmente financière et doit faire face à l'assassinat de son PDG George Besse en 1986, perpétré par Action Directe. Ces ennuis qui "volent en escadrille" font rapidement péricliter le projet.

Renault veut vendre et trouve vite un repreneur en la personne de Chrysler, qui est managée par Lee Iacocca. La firme au Pentastar, qui a déjà jeté son dévolu sur Lamborghini, rachète les actions de Renault et prend possession des marques AMC et Jeep. Iacocca lorgne sur les usines de la première citée, qui ont été modernisées par Renault, mais c'est avant tout Jeep qui l'intéresse, grâce au succès du Cherokee. Renault obtient par contrat la poursuite de la commercialisation des berlines dérivées du losange. Ainsi, Chrysler créé une nouvelle division baptisée Jeep-Eagle, et le nom du fameux crossover AMC devient désormais une marque à part entière pour écouler les berlines d'origine française.

A la recherche d'une identité

Contrairement aux Chrysler mais aussi aux Dodge et Plymouth, autres labels de la constellation, les Eagle ne portaient pas le logo Pentastar sur leur calandre. Le signe d'un délaissement ? Probablement, car la priorité fut donnée à Jeep, qui jouissait d'une plus forte image et de modèles aux marges bénéficiaires plus importantes. Cela se ressentit dans l'usine ex-AMC de Brampton, où l'on augmenta la production des Jeep, notamment le Wrangler, mais aussi dans les concessions, qui traitaient la marque Eagle comme la dernière roue du carrosse. Et la gamme trahissait également un manque d'identité flagrant, dès le départ.

En 1988, Eagle compte 4 modèles : on trouve la vénérable Wagon (ex-AMC Eagle), apparue en 1980 mais dont la production a cessé dès décembre1987. La Vista, une compacte fade qui remplace la Renault Encore, n'est en fait qu'une Mitsubishi Mirage 2e génération rebadgée, dont la version break à 4 roues motrices...se positionne comme l'héritière de la Wagon ! Enfin, les deux dernières, commercialisées depuis 1987, ont de l'ADN français : la Renault Medallion, qui devient Eagle Medallion en 1989, est la version américaine de la Renault 21, avec quelques spécificités (pare-chocs, calandre, régulateur de vitesse) et un moteur Douvrin injection plutôt moderne pour le marché US.

Quant à la Eagle Premier, c'est une version rallongée de la R21 équipée du V6 PRV. Elle offre donc le gabarit d'une R25 et sa production est assurée dans l'usine de Brampton, afin d'éviter les écueils rencontrés par les adaptations des modèles importés. Chrysler est obligé de produire les Premier, en vertu de l'application d'un contrat, non dénoncé, entre Renault et AMC, qui incombait à cette dernière d'écouler un nombre défini de véhicules équipés du moteur type PRV au sein de son réseau.

Clone de Mitsubishi

Si la Premier continue sa carrière jusqu'en 1992 grâce au contrat de fourniture moteur, en étant également rebadgée "Monaco" sous la marque Dodge, la Medallion cesse d'exister dès la fin de l'année 1989, afin de ne pas faire concurrence aux compactes des autres marques du groupe. La Wagon n'est pas renouvelée non plus. A la place, il faut se contenter d'une Eagle Summit, déclinée en Station Wagon, qui n'est qu'une Mitsubishi Mirage de 3e génération rebadgée. Pas très folichon !

En 1990 sort la Eagle Talon, proposée en traction avant ou intégrale. Elle partage en fait la même plate-forme et les mêmes mécaniques que les Plymouth Laser et Mitsubishi Eclipse, dans le cadre de la co-entreprise DSM ("Diamond Star Motors") montée par Chrysler et Mitsubishi avec une usine de production dans l'Illinois. La Talon reçoit plutôt un bon accueil et connaît une jolie carrière en compétition dans les championnats SCCA. En 1991, le partenariat DSM aboutit également à la 2000 GTX, uniquement commercialisée au Canada et qui n'est qu'une Mistubishi Galant rebadgée.

Crépuscule d'un aigle

En 1993, Eagle gagne enfin en caractère avec la sortie de la Vision, qui est un modèle entièrement conçu en interne par Chrysler et non un simple modèle rebadgé. Destinée à succéder à la Renault...euh, pardon, Eagle Premier, la Vision est une grande berline de 5,12 mètres de long, orientée vers le haut de gamme, avec des V6 3.3 et 3.5 litres. Son design, doué d'un excellent Cx, s'inspirait du...concept-car Lamborghini Portofino de 1987 ! Jusqu'en 1997, elle est produite à plus de 100.000 exemplaires.

Avec plus de 160.000 exemplaires écoulés pour sa 1ère génération, la Talon, en tant que best-seller de Eagle, a droit à une seconde génération en 1995. Cousine de la Mitsubishi Eclipse, dont elle partage les mécaniques -notamment le 2.0 litres turbo - elle est commercialisée jusqu'en 1998. Mais dès septembre 1997, Chrysler annonce la fin de la marque. La nouvelle Vision, dont le développement était quasiment achevé, servira de base à la Chrysler 300M.

10 ans, c'est une durée de vie bien courte pour une marque. Mais les raisons de cet échec étaient évidentes : Eagle est née à contrecœur, en héritant à la fois d'une marque déclinante (AMC) et de l'image négative suscitée par la fiabilité des modèles d'origine Renault (surtout l'Encore, car les Medaillon et Premier étaient de meilleure facture). Ensuite, elle n'a jamais bénéficié d'un investissement commercial et promotionnel suffisant, et Chrysler adopta une stratégie marketing et produit pas assez cohérente, qui vidait dès le départ cette marque d'une quelconque identité pour le client.

Images : wikimedia, flickr

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Née sur les ruines du rêve américain de Renault, Eagle a souffert dès le départ d'un problème d'identité. Un cas symptomatique des turbulences traversées par Chrysler à l'époque...et des excès du "rebadgage" compulsif !

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