Marques disparues, épisode 9 : Zastava
par Nicolas Anderbegani

Marques disparues, épisode 9 : Zastava

Les origines de Zastava remontent à la fondation, au milieu du XIXème siècle, d'une usine de canons à Kragujevac, une ville située aujourd'hui en plein coeur de la Serbie. Elle produit aussi à partir de 1939 des camions sous licence Ford puis la Seconde Guerre mondiale, avec l'occupation du pays par l'Axe, met un coup d'arrêt à cette production, jusqu'à la libération du pays par les forces titistes. Le site prend alors le nom de Zavodi Crvena Zastava," l'usine du drapeau rouge" et fait partie d'un vaste conglomérat présent dans les armes, les poids lourds et les autobus.

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La voie yougoslave du socialisme

Bien que placée sous le joug communiste de Josef Tito, la Yougoslavie se démarque des autres états européens socalistes, devenus des "satellites" de Moscou. En rompant avec l'URSS en 1948, la Yougoslavie n'entre pas dans la logique des blocs de la Guerre froide et n'adhère pas au Pacte de Varsovie, ce qui pousse Staline à lui infliger des sanctions économiques en réduisant fortement les échanges commerciaux. Ce blocus incite Tito à nouer des liens économiques avec les Occidentaux, qui ne se privent pas d'appuyer ce "rebelle" du bloc communiste. La Yougoslavie bénéficie ainsi des aides américaines du Plan Marshall. L'autre spécificité de ce pays "non aligné, c'est son modèle économique basé sur l'autogestion des entreprises, prenant le contrepied de la centralisation étatiste soviétique. Certes, l’État garde la main et planifie l'économie yougoslave, mais dans certaines entreprises, qui ne sont pas toutes propriété de l'état, l'organe décisionnaire ultime, c'est l'assemblée des ouvriers !

Les deux rives de l'Adriatique

En Août 1953, 96% des employés de la Zavodi Crvena Zastava votent pour la mise en route d'une production automobile. La motorisation de la Yougoslavie lui incombe ! Reste à trouver un partenaire, car Zastava n'a pas les moyens et les technologies propres pour développer une marque automobile. La solution, c'est de fabriquer sous licence des modèles issus d'une marque étrangère. L'appel d'offres met en lice Willys (sachant que Zastava avait fabriqué des Jeep au début des années 50, en très petit nombre), Rover, Austin, Renault, Delahaye, Alfa Romeo et Fiat.

C'est le constructeur turinois qui remporte la timbale, et un accord est conclu en Août 1954, incluant la construction d'une nouvelle usine sur le site de Kragujevac. C'est ainsi que les modèles Campagnola et 1400 commencent à être assemblés, rapidement suivis par les 1100 et 600. La production, qui se canonne à du CKD (pour Complete Knock Down, kits de pièces détachées) au départ, démarre doucement puisque seulement 1044 véhicules sont assemblés au cours de l'année 1955.

L'essor des années 60-70

C'est dans les années 60 que Zastava prend vraiment son envol, avec une production qui augmente d'année en année. Le succès est porté notamment par la Zastava 750 (ou Fica), copie serbe de la Fiat 600, qui sera produite à près d'un million d'exemplaires jusqu'en 1985. Le succès vient aussi des variantes yougoslaves des Fiat 1300/1500, en berline et break, qui représentent le haut  de gamme dans le pays. Elles prendront le surnom de "Mercedes yougoslave" et seront produites jusqu'à la fin des seventies. Les années 60 sont une décennie d'expansion et de réussite. En 1965, Zastava reçoit de Fiat l'autorisation d'exporter vers la Pologne (des modèles en kit pour FSO) et des accords techniques et financiers sont reconduits en 1968 avec le groupe italien. L'accord s'étend aussi aux camions qui reprennent des licences de Fiat Veicoli Industriali.

En 1971, Zastava franchit encore un cap en présentant la Z101, qui est la première voiture de la marque à ne pas être une copie conforme d'une Fiat. Elle est basée sur la Fiat 128 mais les ingénieurs l'ont retravaillée pour l’adapter aux goûts des automobilistes locaux, en lui ajoutant un hayon pour accroître la capacité de chargement. Elle sera produite à plus de 1,2 million d'exemplaires, exportée en CKD en Egypte et en Pologne et même importée en France sous le nom de 1100, car le nom 101 était réservé par Peugeot. En 1975, la millionième Zastava sous licence Fiat sort de l'usine.

Le pari Yugo

A la fin des années 70, Zastava récupère une étude qui a été rejetée par le directoire de Fiat pour le remplacement de la 127. En mai 1980, au salon de Belgrade, la marque est fière de présenter son premier modèle conçu en interne, dont le nom de code est Z102. Tito aurait été visiblement très déçu par la rusticité du modèle mais pour l'occasion, Zastava nourrit de grandes ambitions et compte bien l'exporter à l'étranger. C'est donc sous le nom d'une nouvelle marque, Yugo, que cette petite voiture 3 portes économique aux lignes anguleuses sera commercialisée. Les organes mécaniques sont toujours d'origine Fiat, avec le 45 chevaux de 903cc, mais dès 1983, la Yugo reçoit le moteur 1,1 litre de 55 chevaux. De quoi s'attaquer alors...au marché américain !

Zastava s'associe à l'industriel Malcolm Bricklin, qui fut l'importateur de Subaru aux USA dans les années 60, pour commercialiser la version américaine de la Yugo 55. Elle devient la Yugo GV (pour "Great Value") avec une boîte 5 vitesses et des améliorations dans la qualité de fabrication. Une ligne de production spécifique lui est même dédiée à Kragujevac. Affichée au tarif redoutable de 3990 dollars, elle rencontre contre toute attente un grand succès au début, avec près de 49000 immatriculations en 1987 ! Seulement, la fiabilité calamiteuse de la voiture dégrade rapidement sa réputation, et la Yugo sera élue comme l'une des pires voitures du siècle ! En Croatie, une autre maxime résume bien son image : « Ako kupis Yugo, neces vozit dugo » soit "Si vous achetez une Yugo, vous ne la conduirez pas longtemps ». Lada n'a pas le monopole des blagues ! Néanmoins, au cours de sa carrière qui s'étire jusqu'en 2008, sur les 750.000 exemplaires produits, près de 250.000 l'ont été à l'export. Rien qu'aux USA, 141.000 exemplaires trouveront preneur, un sacré exploit ! La Yugo a fini par devenir une voiture culte, avec ses fans, ses tuners et clubs ! On en trouve aussi en course de côte:

La guerre et l'écroulement des années 90

1989 marque l'apogée de Zastava, qui célèbre sa 3.500.000ème voiture produite. Sur cette seule année 1989, près de 190.000 voitures sont sorties de l'usine, qui assemble les Yugo, Yugo Florida (une berline dessinée en collaboration avec Giugiaro, là aussi refusée par Fiat pour la Tipo) et la Fiat Uno sous licence. Mais c'est le chant du cygne.

D'abord, la fin du rideau de fer et l'ouverture des marchés est-européens aux produits occidentaux condamne à moyen et long terme les produits autochtones, largement dépassés sur le plan technologique et la qualité. Mais pire encore pour Zastava, c'est évidemment l'implosion de l'ex-Yougoslavie puis la guerre civile qui portent un terrible coup à l'entreprise. Ses approvisionnements sont perturbés par les combats inter-balkaniques et elle subit de plein fouet l'embargo imposé par l'ONU en 1991, qui se durcit en 1992. Zastava trouve une parade avec Fiat, en commercialisant les Yugo en Italie sous le label Innocenti Koral, mais les ventes sont anecdotiques. En 1993, la production chute à...700 voitures ! Rebelote en 1999 : alors que Zatsava négocie un partenariat avec PSA, le conflit du Kosovo déclenche l'intervention de l'OTAN, dont les bombardements frappent l'usine de Kragujevac en avril, où périssent de nombreux ouvriers. La production d'armements du groupe Zastava en faisait une cible de choix.

Absorption finale

La production repart tant bien que mal, dans les quelques ateliers encore débout, avec la production d'antiques Yugo. Vers 2004-2005, Zastava renoue avec Fiat pour la mise en production sous licence de la Punto 2, qui deviendra la Z-10.

Zastava a accumulé les dettes avec Fiat durant les années 90 et négocie âprement pour que Turin consente à effacer une partie de la dette et réalise de nouveaux investissements  dans les installations, l'outillage et la formation des ouvriers serbes (qui se fait à Mirafiori). Finalement, en 2008, le gouvernement serbe décide la privatisation totale de l'entreprise et conclut un accord avec Fiat qui reprend le contrôle de Zastava. Une restructuration drastique est opérée et l'usine est totalement repensée. En 2011, le nom Zastava disparaît définitivement, l'entité étant absorbée dans Fiat Serbia qui y produit le Fiat 500L.

Zastava incarnait la fierté industrielle de la Yougoslavie, et son implantation sur le marché américain fut un véritable petit exploit ! L'histoire en a décidé autrement, pour cette marque qui aurait pu devenir le Skoda de Fiat.

En bonus, ce croustillant épisode de Top Gear où la praticité de la Yugo est confrontée, en Albanie, à des berlines de luxe. Inoubliable !

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Images : musée de l'auto de Belgrade, flickr, wikimedia

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Pour résumer

Les origines de Zastava remontent à la fondation, au milieu du XIXème siècle, d'une usine de canons à Kragujevac, une ville située aujourd'hui en plein coeur de la Serbie. Elle produit aussi à partir de 1939 des camions sous licence Ford puis la Seconde Guerre mondiale, avec l'occupation du pays par l'Axe, met un coup d'arrêt à cette production, jusqu'à la libération du pays par les forces titistes. Le site prend alors le nom de Zavodi Crvena Zastava," l'usine du drapeau rouge" et fait partie d'un vaste conglomérat présent dans les armes, les poids lourds et les autobus.

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