Pourquoi fait-on des voitures moches (parfois) ou banales (souvent) ?
par Joest Jonathan Ouaknine

Pourquoi fait-on des voitures moches (parfois) ou banales (souvent) ?

Concevoir une voiture, c'est un pari à plusieurs centaines de millions, voir plusieurs milliards, d'euros et parfois, ça rate. Avec le recul, c'est facile de se moquer et d'expliquer des erreurs évidentes. Mais la réalité est moins tranchée.

Zapping Le Blogauto Essai Citroën e-C4X de 136ch

Concevoir une voiture, c'est un pari à plusieurs centaines de millions, voir plusieurs milliards, d'euros et parfois, ça rate. Avec le recul, c'est facile de se moquer et d'expliquer des erreurs évidentes. Mais la réalité est moins tranchée.

Rappel historique

L'immédiat après-guerre fut synonyme d'explosion de la motorisation des Européens. Une classe moyenne émergeait et elle avait un budget pour s'offrir une voiture neuve. En face, les généralistes étaient encore fidèles au principe fordien du modèle unique. De plus, à cause des barrières douanières, les importations étaient rares. Ainsi, pour une catégorie de prix donnée, il n'y avait souvent qu'un seul modèle cohérent. L'une des explications des succès de la 4cv en France, de la Mini en Grande-Bretagne, de la Coccinelle en Allemagne ou de la Fiat 500 en Italie, c'est que les acheteurs avaient le choix entre ça ou rien ! Donc ils ont choisi "ça"... Pour les constructeurs, c'était une quasi-garantie de succès.

La situation évolua au fil des années. Les barrières douanières disparurent, d'abord au sein de l'Europe, puis vis-à-vis de l'Amérique et de l'Asie. Les mentalités changèrent également. Les constructeurs ont de moins en moins d'acheteurs prêt à se ruer sur n'importe quoi, au motif que cela vient de leur pays. Même des marchés jusqu'ici très fermés, comme le Japon ou la Corée du Sud, font désormais face à des importations. En Australie, les deux constructeurs nationaux (Ford et Holden) vont se muer en importateurs. Tout ceci rend le succès d'un modèle plus aléatoire.

Boule de cristal

Actuellement, les constructeurs songent déjà à ce qu'ils lanceront en 2018. Ils ont même des idées précises sur leur gamme 2020. Concevoir un modèle, c'est mettre un énorme paquet d'argent sur la table, quatre ans à l'avance. On part d'un plan produit, puis on affine avec des idées directrices. Puis vient le temps des croquis, des maquettes, des premiers prototypes roulants, de la pré-série, de la mise en production et enfin on arrive au lancement grand public.

Le problème, c'est que personne n'a la moindre idée de ce que les gens achèteront en 2018 ! Quelle sera la situation économique ? Est-ce que ce sera une ère de prospérité où les gens achèteront des véhicules luxueux ? Ou bien, au contraire, un temps de récession, où l'on ne change sa voiture que lorsqu'elle tombe en morceaux (en prenant le modèle le moins cher possible) ? Quel sera le prix du litre d'essence ? Qui plus est, les gouvernements auront changé. Vont-ils poursuivre des politiques "vertes" (bonus/malus, subventions des électriques...) ? Ou bien fermer le robinet d'aide si la conjoncture ne s'améliore pas ?

Et puis il y a des considérations subjectives. Raymond Loewy le clamait dans les années 50 : "La laideur se vend mal." Sauf que l'idée de beauté évolue, tout comme les attentes et la perception des clients. Quelles seront les modes, en 2018 ? Quel type de véhicules recherchera la clientèle ? Quels équipements deviendront indispensables ?

Bien sûr, les constructeurs ont leur service "stratégie". Des armées de personnes chargées de décrypter les tendances actuelles. Et surtout, d'anticiper celles du futur. Mais cela reste l'équivalent de tirer les cartes.

Parfois, la clientèle visée ne se reconnait pas dans le produit. Parfois, à la surprise générale, une autre clientèle s'approprie le véhicule. La BMW série 3 compacte, destinée aux jeunes couples sans enfants, fut finalement une voiture de couples aisés dont les enfants ont quitté le nid familial.

Trop banal

Dans un monde où les constructeurs n'ont plus de pré carré, il faut chercher à plaire à tout le monde (au sens propre.) La sécurité, c'est le conservatisme. Parce qu'on dit : "On ne change pas une équipe qui gagne". Il faut "s'inspirer" de ce qui marche chez soi et chez les autres. Les enjeux sont trop importants pour que l'on prenne des risques. Terminé, le temps des designers transalpins.

Le risque évident, c'est de tourner en rond. Faire toujours la même chose, de moins en moins bien. Les concurrents ne vous attendent pas ; ils innovent et finissent par récupérer votre clientèle.

Trop typé

Pour sortir du lot, il faut donc défricher. En terme de style, on parle pudiquement de "design clivant". Il s'agit de provoquer. Les uns seront choqués, mais cela plaira aux autres.

Après tout, l'histoire est pleine de succès surprises. De véhicule pour lesquels les experts juraient qu'ils ne marcheraient jamais. Ce fut le cas notamment du Nissan Juke, du Land Rover Evoque, de la première Audi TT...

Mais très souvent, cela rate. La Fiat Multipla, le Pontiac Aztec, le Ssangyong Rodius, le Subaru Tribeca ou la Ford Scorpio FL sont autant de voitures affreuses. Le nombre "d'autres" à qui elles étaient censées plaire fut insuffisant.

Et l'on ne parle même pas des concepts mal ficelés, ces voitures qui ne savent pas ce qu'elles sont, ni qui elles visent. Dans le premium, les constructeurs croient trop souvent qu'ils peuvent mettre leur badge sur n'importe quoi et le vendre en grande quantité. Les cabinets d'études de marché ont également tendance à brosser leurs clients dans le sens du poil. Qui aurait envie de travailler avec quelqu'un qui apporterait de mauvaises nouvelles ? D'où de gros ratages comme la BMW série 5 GT, la Smart Forfour, la MINI Coupé...

Conclusion

Les constructeurs n'ont guère d'alternative. Soit ils copient ce qui marche, en espérant que cela se vendra encore dans quatre ans. Quitte à diluer leur personnalité et à passer à côté des mutations du marché. Soit ils tentent de s'aventurer hors des sentiers battus, mais ils n'ont plus de filet de sécurité. Ca passe ou ça casse.

Il n'y a pas de recette miracle. Expliquer, et dupliquer, un succès est aussi difficile que d'expliquer un échec (pour éviter de refaire les mêmes erreurs.)

La solution, c'est peut-être de faire comme Volkswagen en Chine ou Byd : lancer simultanément un grand nombre de modèles et laisser le client faire son choix. En espérant que dans le lot, il y en ait un qui plaise...

Crédits photos : Citroën (photo 1), Fiat (photos 2 et 8), Mercedes (photo 3), GM (photos 4 et 5), Volkswagen (photo 6), Nissan (photo 7), BMW (photo 9) et Byd (photo 10.)

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Pour résumer

Concevoir une voiture, c'est un pari à plusieurs centaines de millions, voir plusieurs milliards, d'euros et parfois, ça rate. Avec le recul, c'est facile de se moquer et d'expliquer des erreurs évidentes. Mais la réalité est moins tranchée.

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