La fin du tunnel pour Chrysler?
par Joest Jonathan Ouaknine

La fin du tunnel pour Chrysler?

+21%. C'est LE chiffre qui résume . Est-ce la fin de la convalescence? Ou bien le troisième grand constructeur US va-t-il de nouveau connaitre des ennuis?

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+21%. C'est LE chiffre qui résume la situation de Chrysler en 2012. Est-ce la fin de la convalescence? Ou bien le troisième grand constructeur US va-t-il de nouveau connaitre des ennuis?

L'éternel mourant

Chrysler a un côté culbuto: chaque fois qu'on pense la marque perdue pour de bon, elle réussit à revenir. Son histoire est pleine de coups durs quasiment mortels... Et cela commence dès le début! Les Maxwell-Chambers ne se vendent pas. Les invendus s'accumulent en concession. En 1924, le constructeur débauche Walter P. Chrysler, qui vient de redresser Willys-Overland. Chrysler a une idée : faire du neuf avec du vieux. Il expédie gratuitement des kits aux concessionnaires pour maquiller les Maxwell en de nouvelles "Chrysler". La ruse fonctionne.

Chrysler en profite pour passer à la deuxième étape de son plan. Fred M. Zeder, Owen Skelton et Carl Breer, également venus de Willys-Overland, travaillent sur un nouveau projet (nom de code "ZSB".) Le PDG lance la voiture sous son nom en 1925 (ci-dessous) et c'est donc la première vraie Chrysler. Peu après, la "Maxwell Corporation" devient "Chrysler Corporation".

Le nouveau venu progresse d'années en années. En 1928, le constructeur s'offre Dodge, livré à lui-même depuis la mort des deux frères. Même après la crise de 1929, les ventes continuent de croître ! Chrysler se croit sans doute invincible. Et c'est par pêché d'orgueil qu'il lance l'Airflow, en 1934. Une conception bâclée (le projet a fuité et il faut la lancer avant terme), de mauvais calculs aérodynamiques (la voiture est très lourde) et surtout, une ligne déroutante pour l'époque. Elle coûte son poste à Walter P. Chrysler. K T Keller, venu de General Motors, évite le naufrage en revenant à des voitures plus classiques.

20 ans plus tard, c'est l'effet inverse : les voitures du groupe ont des lignes trop conservatrices. Nouveau plongeon. Cette fois-ci, c'est un designer, Virgil Exner, qui sauve la mise. Il abandonne les formes massives et dessine des voitures aux calandres inclinées vers l'avant et aux toit rabaissées. C'est le "forward look". Dans les publicités, Chrysler prétend avoir investi 100 millions de dollars (NDLA: en fait, les plateformes et les mécaniques restent peu ou prou identiques.) Après un beau millésime 1955, le ventes redescendent en 1956. Pour 1957, le constructeur recommence une campagne très agressive, "c'est déjà 1960" et il introduit les calandres à 4 phares.

Contrairement à Ford et General Motors, Chrysler n'a pas vraiment de tête de pont hors d'Amérique du Nord. En 1958, il prend le contrôle de Simca. En 1964, il s'offre le groupe Rootes  (Hillman, Humber, Singer et Sunbeam.) En parallèle, il fait de Valiant, sa filiale australienne, une marque à part entière.

Il n'arrive pas à gérer ses filiales. Il n'y a pas vraiment de collaboration, ni entre Rootes et Simca, ni entre les filiales et la maison-mère. Par exemple, en Espagne, Simca et Barreiros (assembleur local de Dodge) sont deux entités distinctes. Par contre, elles ont pour point commun de s'enfermer dans des choix techniques anachroniques, de construire des voitures biodégradables et d'avoir des cycles de vie beaucoup trop longs. Sans surprise, les ventes s'effritent au fil des années 70.

La crise de 1973 et les malheurs à l'étranger plombent les comptes. En 1975, John J. Riccardo et Eugene A. Cafiero prennent les commandes, mais ils ne peuvent arrêter l'hémorragie. En 1979, Riccardo et Cafiero cèdent leurs sièges à Lee A. Iacocca (ex-Ford.) Le premier travail de Iacocca est de négocier un prêt d'1,5 milliards de dollars auprès du président Carter. Sans quoi, la marque au "pentastar" fermerait boutique. Carter accepte, mais Chrysler doit lâcher du lest. Les divisions moteurs marins et défense sont revendues. Peugeot rachète Simca et Sunbeam (dernière survivant de Rootes.) Dodge (branche utilitaires de Rootes) est vendue à Renault. Quant à Valiant, il est soldé à Mitsubishi.

Les derniers dollars de Chrysler sont investi dans la famille "K-car". Ces compactes bon marché permettent au constructeur de sortir de l'ornière... Et d'entamer une nouvelle vague d'acquisitions: De Tomaso (1983), AMC (1987) et Lamborghini (1988.) De Tomaso et Lamborghini feront long feu. En revanche, Iacocca ramène Chrysler en Europe et il investit en Chine.

Les années Daimler

Iacocca est son propre N°2. En 1992, il prend du recul. Il cède le poste de N°1 à Bob Eaton. Mais il faut un président au moins aussi photogénique et qui représente bien un Chrysler "mondialisé". Bob A. Lutz, d'origine suisse, a constamment fait des allers-retour entre l'Europe et les USA. En plus, c'est un véritable show-man, amoureux des belles mécaniques et adepte du franc-parler. Autant dire un casting idéal.

Iacocca est un pragmatique, qui pense avant tout chiffres de vente et rentabilité. Le travail de Lutz se fait davantage sur l'image de marque et la perception. Ainsi, il donne à chaque marque du groupe un emblème distinct (jusqu'ici, elles se partageaient le pentastar.) Il réintroduit Dodge dans les utilitaires avec le Ram, tandis que la 300M marque le retour de Chrysler dans les grandes berlines. Son designer fétiche, François Castaing, a quasiment carte blanche. Il crée des concept-cars exubérants (Viper, Prowler, PT Cruiser, Crossfire...) qui sont pratiquement produits en l'état.

Le groupe semble nettement plus dynamique que GM et Ford. Au point que ceux-ci copient les stratégies de Chrysler (Claude Lobo devient gourou du design chez Ford, Cadillac se lance aux 24 heures du Mans, etc.)

En 1998, Daimler et Chrysler s'associent. Jurgen Schrempp et Eaton signent l'accord devant les caméras. En théorie, c'est une alliance "à parts égales". Les deux groupes semblent complémentaires: Chrysler pour les USA et Daimler en Europe; Chrysler dans le bas et le milieu de gamme, Daimler pour le haut de gamme. Néanmoins, en 2000, Dieter Zetsche devient responsable des deux groupes. A partir de là, il est de plus en plus évident que Daimler mène la danse.

Le premier marqueur de cette ère Daimler est le sacrifice des marques Eagle et Plymouth, jugées sans avenir. Par contre, il entraîne Chrysler en Asie, pour s'offrir des parts de Mitsubishi et Hyundai.

Les rapports entre Américains et Allemands sont tendus. Clairement, les deux entités n'ont pas du tout la même culture d'entreprise. Les Allemands accusent les Américains d'être laxistes. Notamment sur la qualité et la finition. De quoi expliquer les écarts de prix entre une berline Mercedes et une berline Chrysler apparemment identiques.

A contrario, les Américains accusent les Allemands de faire preuve de condescendance à leur égard et de jouer volontiers les donneurs de leçons. Dans les faits, le périmètre géographique et commercial de Chrysler est bridé par Mercedes, qui veut se garder des prés carrés.

Aux Etats-Unis, les ventes de monospaces fléchissent. Ces véhicules n'ont plus la cote. Grisé par le succès du Cherokee et du Grand Cherokee, le constructeur lance le Durango, premier SUV de Dodge. Le Durango est lui-même un succès. Dès lors, comme les "autres grands", Chrysler mise tout sur les SUV: Chrysler Aspen, Chrysler Pacifica, Dodge Nitro, Dodge Caliber, Dodge Journey, Jeep Compass... Les autres modèles sont laissées en friche. Au grand dam des filiales européennes, qui préféreraient des berlines.

En 2007, officiellement, tout va bien. Le Chrysler Voyager et son jumeau, le Dodge Caravan, sont lancés dans la bonne humeur du "Saint Louis confetti". En fait, Daimler n'a plus de rêves de grandeurs. Comme BMW avec Rover, il découvre qu'il est plus facile de descendre soi-même en gamme que de s'appuyer sur un autre constructeur. D'autant plus que Chrysler est dans le rouge. En l'espace de quelques semaines, le discours de Zetsche passe de "l'avenir de Daimler se conjugue avec Chrysler" à "toutes les options sont envisagées -y compris une vente-", puis à "nous avons décidé de nous séparer de Chrysler."

Les acheteurs ne sont pas légion : les Indiens et les Chinois font des offres plus ou moins réalistes. GM est sur les rangs (ce qui signifierait la fin des "Trois Grands".) En mai, l'obscur fond d'investissements Cerberus Capital rafle la mise. Bob Nardelli est le premier PDG de Chrysler depuis Eaton. Tom LaSorda est son nouveau bras droit... Mais peu après, Chrysler embauche un "co-N°2", Jim Press. Venu de Toyota, il est vu comme cet homme providentiel que le constructeur a su toujours trouver. Néanmoins, Press n'est pas Walter P Chrysler ou Lee Iacocca et il démissionne après quelques mois.

Au fond du trou

Les ennuis ne s'arrêtent pas avec le rachat par Cerberus. Au contraire. L'intérêt des alliances, c'est de partager plateformes, moteurs, etc. En règle générale, l'un des deux partenaires finit par prendre le dessus. Et en cas de divorce, l'autre se retrouve sans rien. C'est ce qui arrive à Chrysler: à moyen terme, Mercedes arrêtera de fournir des composants. Il faut donc en étudier de nouveaux ou trouver un nouveau partenaire.

Comme MG-Rover en 2000 ou Saab en 2010, Chrysler fait désespérément le tour des constructeurs. Seul Tata voulait aider Rover. Chrysler en est réduit à s'associer à Chery, puis à Great Wall. Des véhicules sont amenés à Detroit et testés. Ils sont de si mauvaise qualité que même Chrysler n'en veut pas. Pour la petite histoire, Chery et Great Wall tiendront compte des objections de Chrysler et ils lanceront peu après des "versions 2.0." de leurs voitures.

Le groupe ne peut même pas s'offrir le luxe de patienter jusqu'à ce qu'il développe sa propre gamme. De 2 638 561 unités en 1999 (au moment de la fusion avec Daimler), les ventes tombent à 2 076 650 unités en 2007, puis à 1 453 122 unités en 2008. Les Américains ne veulent plus des SUV et des crossovers. Qui plus est, les voitures du groupe Chrysler ont mauvaise réputation, notamment à cause de problème de faisceaux électriques. En 2007, le constructeur doit rappeler 2,2 millions de voitures (un chiffre supérieur à sa production annuelle!) D'ordinaire, les constructeurs gonflent leurs résultats en soldant leur stock aux loueurs. Mais les loueurs non plus n'ont pas confiance dans les Chrysler.

Dans un premier temps, le groupe loue des aérodromes et des stades désaffectés pour y parquer ses invendus. Mais il doit finir par se résoudre à mettre ses usines au chômage partiel. Début 2008, presque toutes les usines sont à l'arrêt.

Seule celle de Brampton (où est produite la nouvelle Challenger) tourne à plein régime: la demande pour la muscle-car dépasse l'offre! Mais avec 7 209 ventes, elle ne peut faire vivre à elle seule le groupe. Chrysler se place en "Chapter 11", c'est à dire en faillite.

A peine élu, Barack Obama doit faire face au désarroi des "Trois Grands". L'UAW (syndicat des ouvriers du secteur automobile) possède une certaine puissance financière et électorale au sein du parti démocrate. Obama se doit de les écouter. La première étape, c'est le Car Allowance Rebate System (alias "Cash for clunkers".) Cette prime à la casse permet d'écouler les invendus. Chez Chrysler, les usines repartent brièvement. Mais malgré tout, seules 931 402 Chrysler trouvent preneur. Il faut remonter aux années 60 pour voir un chiffre aussi bas!

Le gouvernement prête 4 milliards de dollars à Chrysler, qui quitte le "chapter 11". Mais l'Etat met des conditions. Il s'offre 20% du constructeur et l'UAW, 60%. En échange, le constructeur doit se séparer de plusieurs usines, regroupées dans Old Carco LLC (alias "Old Chrysler".)

L'ère Fiat

D'emblée, un acteur s'immisce dans les discussions entre Chrysler et l'Etat américain: Fiat. Le constructeur italien semble parfaitement complémentaire avec l'américain. Chrysler veut des "compactes" et des "sub-compacts"; Fiat ne produit que cela! Fiat veut des SUV; Chrysler ne produit que cela! Fiat n'est pas présent aux Etats-Unis; Chrysler est peu présent hors des Etats-Unis. L'Italien s'offre 20% de Chrysler, puis 58,5% et en 2012, 61,8%. Nardelli et LaSorda démissionnent; Sergio Marchionne, PDG de Fiat, a désormais les pleins pouvoirs chez Chrysler.

Mercedes fournissait des plateformes à Chrysler, que ce dernier pouvait rhabiller comme bon lui semble. Avec Fiat, les liens sont beaucoup plus étroits. En Europe, Chrysler et Dodge s'effacent. Seul Jeep reste. Lancia est chargé de vendre des Chrysler rebadgées (sauf en Grande-Bretagne, où elles gardent leur nom.) Par ailleurs, le Dodge Journey devient Fiat Freemont.

Aux Etats-Unis, Chrysler assure la distribution de Fiat. La 500 "US" est produite à Toluca, au Mexique, où elle succède à la vieillissante PT Cruiser. Sur une base d'Alfa Giulietta, Dodge conçoit la Dart... Qui est aussi produite en Chine sous le nom de Fiat Viaggio.

Grâce aux euros de Fiat, Chrysler peut apporter des retouches assez profondes à ses modèles et améliorer sa finition. Conséquence logique, les ventes remontent. Chrysler est aujourd'hui au milieu du gué. En 2012, pour la troisième année consécutive, il connait une croissance à deux chiffres. 1 651 787 unités (dont 43 772 Fiat 500), c'est presque le double de 2009... Mais c'est aussi la moitié de ce qu'il vendait sous Bob Lutz.

Mis à part la Dart, on n'a pas encore de modèles totalement inédits. Le constructeur a besoin d'euros, mais Fiat est lui-même en difficulté (-15% en Europe en 2012.) Du coup, les lancements sont très timides. Au salon de Detroit 2013, il s'est presque contenté uniquement de versions sportives de modèles existants. De plus, la 500 ne se vend pas en grand nombre aux Etats-Unis. Est-ce que la 500L permettra de vraiment lancer Fiat?

Les deux ou trois prochaines années seront cruciales. Dans un scénario rose, Chrysler continue de progresser. Il retrouve son point d'équilibre de 2,5 millions de voitures par an à l'horizon 2015-2016. Pour cela, il peut notamment compter sur les marchés émergents comme la Chine (où Jeep doit de nouveau produire des véhicules) ou l'Inde. Cette bonne santé pourrait déteindre sur Fiat, qui quitterait enfin des problèmes récurrents de finances.

Un scénario gris, plus probable, ce serait celui d'un statu quo. Les ventes stagnent et les deux parties doivent s'associer à un tiers pour trouver davantage de ressources. Mitsubishi et Volkswagen sont deux constructeurs qui ont été régulièrement dans l'orbite de Chrysler et ils pourraient être ce "tiers".

Dans un scénario noir, les difficultés de Fiat s'éternisent. Chrysler doit désormais financer son partenaire (et non plus l'inverse), jusqu'à ce qu'il soit lui-même dans le rouge. En 2008, Cerberus n'arrivait pas à trouver de solution. Chrysler a eu de la chance de trouver un gouvernement démocrate compréhensif (comme en 1979) et de séduire Fiat. En cas de nouvelle faillite, avec un retour des Républicains au pouvoir, Chrysler pourrait très difficilement trouver une porte de sortie...

Crédit photos: Chrysler, sauf photo 14 (Ford)

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